Enfant unique d'une riche famille, Indira a grandi entourée de gouvernantes et de précepteurs. Son père, Sujol Ambari, était un homme d'affaires important dans toute la zone indo-asiatique : il tenait une entreprise de traitement et recyclage des eaux. Avec les pénuries terribles accablant le globe, il devint riche en quelques années et se vit soudain affligé d'un snobisme ahurissant. En un clin d'œil, il installa son épouse et leur fille âgée de quelques mois à peine dans une luxueuse villa surprotégée. Eilenn Ambari, née demoiselle McDermott, fille de bonne famille écossaise, a rapidement pris les goûts de luxe de son mari. Femme légère et inconséquente, elle s'est rapidement détournée de sa fille - rendant sa grossesse responsable des disgracieuses vergetures qui marbraient son ventre d'ancienne mannequin. Indira n'a jamais connu que l'affection de sa nourrice et du bataillon de domestiques dévoués à son service. Elle aurait pu devenir une enfant gâtée si la femme qui l'a élevée ne lui avait pas inculqué de solides valeurs morales.

Après une scolarité primaire et secondaire plus que brillante, diplômée avec deux années d'avance, elle se tourna vers l'une des dernières universités dont le nom était encore gage d'excellence : Cambridge. Elle y fit des études d'ethnologie, participa à une recherche remarquée sur les civilisations précolombiennes et leur impact sur la culture américaine moderne. Sa soif de connaissances la poussait à produire un travail très fouillé et soigné dans les moindres détails, son orgueil et sa fierté ne pouvant légitimement se satisfaire de moins. Son nom circula, et on commença à s'intéresser à elle, sans d'ailleurs qu'elle ne le sache. A l'issue de son cursus de huit années d'études, elle apprit qu'une nouvelle expédition vers Pandora allait être lancée.

C'était la chance qu'elle attendait depuis des années.

Sa chance, oui. Une chance de pouvoir enfin trouver un terrain encore vierge pour y mener librement ses études, sans avoir à confirmer ou infirmer des théories déjà formulées et défendues. Peu de personnes avaient pu étudier Pandora, après tout : il y avait sans nul doute une place pour elle, pour ses idées, pour sa vision et son analyse. Une opportunité formidable se présentait à elle, celle de devenir enfin la pionnière qu'elle avait toujours rêvé d'être, se poser en précurseur, en novatrice, en aventurière. Savourer l'inconnu et ses promesses, établir des découvertes à chaque tournant du chemin - c'était la vocation de son âme toute entière.

Appuyée par ses professeurs, elle déposa un dossier de candidature. Le renom et la réputation des dignitaires de Cambridge ajouta un poids non négligeable à ses atouts déjà bien établis, et son nom fut retenu parmi les deux milles chanceux choisis pour se lancer dans l'expédition. Asociale mais brillante, Indira Ambari allait enfin rejoindre Pandora. Elle avait vingt-quatre ans, et la vie s'ouvrait devant elle.


Pandora lui offrait des opportunités inédites. Elle qui avait étudié les bribes de connaissances qu'avaient rapportées les premiers membres de la première expédition était enchantée. Leur structure familiale, leur fonctionnement marital d'appariement en paires accouplées pour une vie entière, impliquant par là-même une notion de fidélité dans les relations de couple, c'était fascinant. La plupart des cultures primitives terriennes privilégiaient la polygamie - pas les Na'vis. On les classait comme culture primitive, mais Indira faisait partie des quelques chercheurs persuadés qu'il y avait bien plus cela à dire d'eux : qu'ils n'étaient pas primitifs, mais au contraire terriblement évolués. Que tout leur système de relations sociales prouvait bien leur modernité et leur évolution : ils enterraient leurs morts. Même leur religion montrait leur avancement : ils ne déifiaient pas la nature, les orages, le vent ou le soleil. Non, ils croyaient en Eywa, la déesse, la créatrice, si similaire au Dieu des grandes religions monothéistes terriennes. C'était inattendu, et ça la fascinait. Pandora était à l'autre bout de l'univers... et pourtant, on trouvait de troublantes similitudes avec la Terre.
Il y avait tant à découvrir. Indira se posait de nombreuses questions : leur religion avait-elle toujours été ainsi ? N'y avait-il pas eu, à un moment quelconque de leur passé, une multitude de dieux et de déesses qui permettraient de les raccrocher à une pré-civilisation terrienne ? Que se passait-il dans une famille en cas de veuvage ? Quelles étaient les coutumes à respecter si l'un des conjoints décédait ? Y avait-il des notions d'héritage ? Que devenait un couple stérile ? Quid des orphelins ? Y avait-il un système d'adoption ? Et les mariages arrangés, ça donnait quoi ?
Elle avait toute une civilisation à étudier. Des coutumes complexes, une histoire riche qui avait dû façonner leur identité culturelle et sociale au cours des siècles écoulés. Et puis, il y avait eu l'arrivée de Jake Sully, une vraie légende sur Terre. Dans quelle mesure avait-il bouleversé l'ordre établi ? Cela aussi, elle voulait le découvrir. Pourvu que, pour une fois, l'Homme Civilisé n'ait pas détruit ce qu'il avait approché...

La vie s'ouvrait devant elle, mais elle ne serait pas facile à obtenir. Une place sur Pandora, ça se méritait, et même si son dossier avait été accepté dans les quatre cents retenus après la deuxième série de tests, Indira savait bien qu'elle devrait encore faire ses preuves. Les entraînements physiques étaient difficiles au début, mais elle s'y astreignit avec la même rigueur qu'elle mettait à étudier, et elle progressa petit à petit jusqu'à atteindre une forme physique satisfaisante au regard des critères de l'expédition.
Ce qui la passionnait le plus ? La langue et la culture Na'vi. Elle intégra les schémas de base de la langue très rapidement, et atteint dans les premiers de son groupe un niveau d'élocution capable de soutenir une conversation courante, même si quelques termes techniques lui faisaient encore défaut. Elle rencontra des personnes intéressantes, d'autres légèrement crispantes, mais enrichit sa culture générale dans de nombreux domaines. Jamais elle n'aurait pensé vivre quelque chose d'aussi intense - et encore, elle n'avait pas encore quitté sa mère planète.
Puis vint la cryogénisation... puis le réveil, cinq ans plus tard. Elle n'avait pas vieilli d'un jour, et Pandora l'attendait. Au début, la gravité allégée, ce fut délicat - surtout avec son petit souci d'oreille interne qui la fit hurler la première fois qu'elle monta en haut du dôme. Puis, petit à petit, elle s'habitua à son nouvel environnement. On ne la laissa pas prendre son Avatar pendant un moment, le temps que son vertige se stabilise - et ensuite, on la fit toujours escorter par au moins deux autres pilotes.
Mais Indira s'en fichait bien : Pandora était là. Les Na'Vi aussi. Qu'elle avait hâte de les rencontrer, maintenant ! La Terre, c'était fini pour elle, bel et bien terminé. A peine arrivée - et elle savait déjà qu'elle ne voudrait jamais rentrer.