a cafétéria du réfectoire était particulièrement bondée ce midi. Il était à peine 11h30 et, déjà, les membres de l’expédition prenaient place sur les rares sièges encore libres. Quel étrange concours de circonstance avait agglutiné tout ce monde au même moment ? Seth ne le saurai probablement jamais et, sincèrement, il s’en fichait. L’informaticien était bien trop obnubilé par la serviette en papier pour s’occuper des heures de travail de ses collègues. Il avait passé la matinée à y griffonner à la plume un bon nombre de schémas et lignes de codes parfois agrémentés d’une tâche de sauce ou d’un morceau de viande.

Seth n’avait pas pour habitude de travailler dans de pareilles conditions. D’ordinaire, il préférait s’enfermer à double tour dans son bureau exigu devant son ordinaire et son fameux clavier ergonomique. Mais voilà qu’on lui avait formellement conseillé de sortir de son antre pour se « mêler » au reste de l’équipage. On lui avait vanté pendant plusieurs minutes les bienfaits d’une vie sociale bien remplis. Écœuré d’entendre ces balivernes, il avait bêtement adhérer à un programme quelconque pour «l’aide » dans ses relations interpersonnelles. Seth reconnaissait là tout le zèle des psychologues embarqués. À croire que la solitude était désormais classée dans la liste des troubles mentaux et comportementaux.

Malgré les efforts qu’il avait faits pour sortir de son bureau, aussitôt était-il arrivé sur place qu’il s’était mis à gribouiller sur le seul bout de papier qu’il avait sous la main. Fier concepteur de Mnémosyne, l’IA du la Tortue, Seth était toujours à la recherche de nouvelles approchent pour accroître les performances logicielles de cette pièce maîtresse de la base. À bord, Mnémosyne touchait à peu près à tout. Lui revenait de lourdes tâches dans des domaines aussi variés que la gestion des installations, la sécurité et l’administration. D’ailleurs, il avait eu de récents démêlés avec elle sur ces conditions de travail.

Enfin, tout ça pour dire qu’il est là. Condamné à travailler au milieu du brouhaha ambiant. Pour quelqu’un accoutumé au silence de son bureau, la cacophonie était telle que ça lui en donnait des maux têtes. Se concentrer, il devait focaliser toute son attention sur ce morceau de papier. Voilà bien trois jours qu’il tentait de résoudre un problème de synchronisation de l’IA, un problème mineur dont les conséquences étaient minimes. Cependant, c’était tout de même un défaut qu’il fallait régler. Du Seth Sullivan à son meilleur. Minutieux, soucieux d’atteindre la perfection, plus par orgueil et par désir de reconnaissance que par conscience professionnelle.

*Ça y est presque… en appliquant ce protocole je pourrai…*

Les yeux toujours plongés sur sa feuille, il tâtonna les alentours à la recherche de son troisième café. Dommage qu’il avait mal calculé son coup.

« Ahhh ! »

Un cri a mit chemin entre la colère et la douleur, le café lui coulait entre les doigts et s’étendait sur la vingtaine de serviettes couvertes qu’il avait détourné. Son travail, gâché ! Une matinée de labeur qui venait de s’envole. Paniqué il entreprit d’éloigné ses précieux papiers de la mare caféinée . Il souffla maladroitement sur celles-ci en espérant récupérer une bonne partie de son travail. Voilà ce qui arrivait quand on dérogeait à ses habitudes, on finissait les manches couvertes de café et les documents de travail souillé. De sa main libre, il épongea, à l’aide de serviettes vierges, son gâchis. Un nettoyage à peu près correct. Sur ces entre-faits, se pointa devant lui une très jolie femme. De grands yeux marron, une longue chevelure, elle inspirait une certaine prestance, non, plus que ça, elle l’intimidait.

« Désolée, je peux m’asseoir ? »

Le premier réflexe de Seth (aussi bête que ses acrobaties avec le gobelet de café), tourner la tête pour s’assurer qu’elle ne parlait pas à quelqu’un derrière lui. Apparemment, personne ne lui accordait une attention particulière. La logique voulait qu’elle s’adressait réellement à sa personne. Les yeux grands ouverts, toujours aussi surpris qu’une personne qu’il ne connaissait pas engage la conversation, il lui fit signe de prendre place que, contrairement, à la plupart des siège dans le réfectoire, cette place était libre.

Gêné, il retourna à l’assiette qu’il avait à peine touché. Seth y décela un léger arôme de café, mais ne laissa paraître aucune réaction particulière. La dernière chose qu’il voulait, c’était de donner des explications. Depuis combien de temps n’avait-il pas eut de contact humain bien réels ? Oh, bien sûr, il avait quelques amis qu’il voyait de temps à autre, mais converser avec une inconnue ne lui était pas donné tous les jours. Ça expliquait sans doute sa maladresse dans les circonstances.

*Bon, comme si je n’avais pas assez de problème, maintenant il va falloir que je sympathise avec cette enquiquineuse *

« Vous vous appelez ? Demanda-t-il pour la forme, son regard fuyant trahissant une profonde indifférence »