La famille Moores faisait partie de l’élite américaine. Elle avait bâtit une fortune colossale sur le dos de milliers de travailleurs qui, chaque jour, pointait dans une des quarante-deux manufactures dispersées sur le sol américain. Les produits générer par ses usines demandait la combinaison de produits hautement toxiques, responsables de la mort de centaine d’employés et d’infections, notamment pulmonaire, sur les citadins qui habitaient à proximité des manufactures. À 5 ans, Isidore ignorait totalement ces statistiques, lui qui n’avait jamais connu autre chose, se plaisait dans cette grande maison. Il aimait ce père peu présent, mais qui ne manquait jamais de lui offrir des jouets dispendieux, cette mère attentionnée qui passait de longues journées à ses côtés. Il fut élevé comme ce qu’il était, un fils de riche prétentieux imbu de lui-même.

Au lycée, il hameçonnait toutes les filles qui passaient à sa portée. En tant que milliardaire, il les méritait toutes et en même temps si cela lui chantait. Pourtant, l’une d’entre elle semblait indifférente à ses charmes, pire, elle semblait se foutre de son argent. De quoi réveiller son instinct implacable de chasseur. Porté par son désir, il accepta de suivre la belle pour un voyage humanitaire au Mexique. Ce qu’il y vit leva enfin le voile dressé devant lui par le compte de fée qu’avait été son enfance. Pendant 20 jours, lui et une trentaine d’autres bénévoles, s’appliquait à purifier une rivière saturée de déchets toxiques relâchés par une usine avoisinante, la seule source d’eau de la région. Une véritable cure de déprogrammation pour un jeune homme élevé dans l’opulence et le mépris des pauvres. C’est la tête basse qu’il revient chez lui, a jamais transformé, il avait eu un avant goût de la cruauté humaine, de la cruauté de son père. Comble du malheur, la ravissante jeune femme qui lui avait ouvert les yeux sur cette sombre réalité décéda quelques semaines plus tard. Elle avait visiblement ingéré des toxines qui avaient paralysé ses fonctions cérébrales. L’idée de ressembler à son père après un tel affront le dégoûtait.

Il traina l’horrible souvenir des années durant et c’est inconsciemment qu’il appliqua en neurobiologie dans une prestigieuse université, instruction gentiment offerte par son paternel. Isidore avait voulu refuser le privilège, par respect pour ceux qui ne jouissait pas d’un compte bancaire aussi garni, mais s’abstint. L’homme était convaincu qu’il serait nettement plus utile avec l’éducation appropriée. C’est durant ses jeunes années, qu’il milita pour des causes aussi nobles que l’environnement les droits individuels et autres causes humanitaire. Une façon détourner de s’en prendre à son géniteur – le titre de père ne lui convenait plus.

Son diplôme en poches, son avenir de neurobiologiste assuré, il n’avait plus besoin de son mécène. Aussi, il s’appliqua à fuir le cocon familial, il coupa tous les ponts et partit travailler dans une petite entreprise pharmacologique de l’Utah, loin de la zone d’activité des Moores. Pourtant, il manquait à cet emploi quelque chose. C’était certes convenable sur le plan humain, la société fabriquait des médicaments et les revendaient à faible coût dans les milieux défavorisés, mais Isidore aspirait à davantage.

Aussi, il partit s’établir à son compte, de fonder sa propre société, sans but lucratif, proposant gratuitement un sérum contre la dysfonction neuronale ayant emporté son amie des années plus tôt. Son équipe, composée d’une dizaine de médecins et de pharmacologues, jouissait d’un confortable budget : trente million de dollars, une somme faramineuse qu’il avait pu dérober dans le coffre fort de son père avant de fuir. Son entreprise, baptisé simplement Luck, devint au fil du temps une référence dans le domaine et une lueur d’espoir pour les plus démunis, sans doute leur unique chance de survie dans ce monde ingrat. Pendant près de quarante ans, Luck fit la renommée et la fierté d’Isidore. C'est à la sueur de son front que le philanthrope se tailla une place de choix sur la scène internationale.

Un jour, alors qu’il était persuadé d’avoir tout fait pour contribuer à l’ascension de l’espèce humaine, il eut vent, pas l’intermédiaire d’un de ses amis à l’ONU, d’une nouvelle des plus ahurissantes, invraisemblables : le comité international préparait une expédition d’envergure sur Pandora, la Lune à nulle pareille et, peut-être, la prochaine Terre d’accueil pour les humains. Il n’en fallut pas plus pour le décider : il allait faire partie du voyage.

Sa réputation l’appuya durant sa démarche, avec l’âge, il était devenu une sommité en neurobiologie et n’eut pas de problème à franchir avec brio les étapes de sélections. Pandora était tout ce qu’il avait toujours espéré : une nouvelle opportunité pour l’humanité. La chance d’apprendre des erreurs du passée. Il tenait afin une cause de taille à la hauteur de sa détermination, Isidore si consacra corps et âme. Il obtint toute la documentation disponible sur la Lune lointaine pour acquérir les nombreuses connaissances qu’elle contenait. Bien résolu à être au maximum de ses capacités intellectuelles. Pour lui, c’était aussi une chance inespérée d’apporter gloire au nom de Moore jusque là taché de sang. Un résultat de 94% au test d’aptitude lui valu une place de choix sur le Fortuna.

Isidore avait plié bagage et prit l’avion pour la Guyane où il devrait compléter un entrainement de deux ans. Il eu pincement au cœur lorsque l’avion de ligne passa au-dessus du Mexique, c’était heureusement la dernière fois qu’il devrait subir l’expérience. Dans quelques années, il serait sur Pandora. Les terribles évènements de son existence appartiendraient alors réellement au passé.

À 53 ans, il subit un entrainement poussé dans tous les domaines, lui qui croyait son cerveau incapable d’encaisser davantage de matière et son corps autant d’heures d’entrainement physique. Surprenant de voir sa vieille guimbarde tenir le coup, comme si tout son être se mobilisait pour remporter haut la main ce nouveau défi. Il faut dire que la présence de jeunes gens à ses côtés le forçait à la performance, il fallait qu’il prouve à ses mômes que l’âge ne rend pas invalide. Isidore se lia d’amitié avec nombre d’entre eux, il avait toujours eut la capacité d’adapter sa manière d’agir aux personnes qu’il rencontrait. Cet atout en poche, le scientifique n’eut pas de mal à se faire apprécier de ses collègues et de son supérieur hiérarchique si coincé.

Au terme des deux ans de formation, il prit finalement place dans le caisson cryogénique, sa demeure pour les cinq années à venir. Une fois le protocole de lancement activé, ce fut le noir complet, comme s’il se trouvait de nouveau dans l’utérus de sa mère en préparation pour une seconde naissance, une seconde vie qui promettait d’être nettement plus palpitante que la première.

Pandora. Magnifique. Voilà quelques jours que l’équipage avait rejoint leur destination et que la Tortue avait prit place en surface centre d’un immense lac. Son rôle avait déjà été établit, il occuperait ses prochaines années de vie, probablement ses dernières, à étudier ce monde et plus spécifiquement l’étrange phénomène d’interconnexion des arbres pandoriens. Grace Augustine avait établie, un siècle plus tôt, une comparaison entre le lien chimique qui composait un immense réseau sur l’ensemble de la planète et les synapses du cerveau humain. Il lui reviendrait la lourde tâche de mettre à profit ses connaissances en neurobiologie pour parfaire ses travaux sur le sujet et comprendre réellement l’ampleur du phénomène.