Une si belle matinée devait-elle être gâchée par de basses considérations médicales ? Indira était persuadée que c'était presque un sacrilège que de renoncer à savourer le soleil de Pandora pour rester enfermée dans la base – pire, affronter un représentant du corps médical bien décidé à la harceler jusqu'à ce qu'elle cède et se plie à toutes les exigences perverses supportées au nom de la science. Certes ! Son vertige était légèrement handicapant, mais les choses allaient en s'améliorant et ses troubles s'atténuaient. Etait-il absolument nécessaire de lui faire rencontrer un médecin tous les deux jours pour s'en assurer ? Certainement pas. En fait, c'était sûrement un complot. Et puis zut, elle n'irait pas, ça leur apprendrait à la brimer !

Bougonnante, l'Indienne finit par se résoudre à aller à son rendez-vous du matin. La seule note positive dans tout cela, c'était que parmi la batterie de médecins de la base, on avait refilé son cas à Aleksei Lieven. D'un naturel agréable ou ouvert, franc et direct, il était plutôt sympathique et Indira appréciait sans l'avouer leurs rencontres. Il semblait sincèrement décidé à lui venir en aide, et la pilote savait bien que sa réintégration en service actif dépendait principalement de lui et des rapports qu'il rédigeait sur elle, ses progrès, et sa bonne volonté. Ainsi se pliait-elle de bonne grâce aux exercices prescrits et aux examens imposés, impatiente qu'elle était de retrouver son Avatar et de repartir sur le terrain. C'était tellement frustrant de ne connaître de Pandora que les magnifiques paysages observés depuis les baies panoramiques de la Tortue... Un jour, peut-être, elle pourrait y courir et s'émerveiller de ce que Eywa avait créé. Un jour...

Un jour, elle parviendrait peut-être à oublier les terribles nouvelles reçues de la Terre. Cette lettre si atroce de la main de son père, l'informant pêle-mêle de la mort de sa meilleure amie, du kidnapping de sa fille qu'Indira aimait comme la sienne, de la ruine de son père, du divorce de ses parents... Tout son monde s'était effondré derrière elle, et la pilote se désolait de ce désastre. Déprimée et profondément atteinte par ces tragédies, elle tentait de dissimuler sa détresse, d'oublier le visage de Parvati et la frimousse d'Aïda qui avait dû grandir en six ans – même kidnappée et disparue. Alors, elle se focalisait sur sa vie actuelle, sur Pandora qui lui tendait les bras. Et même si, au creux de la nuit, des crises de larmes irrépressibles venaient la secouer dans le silence de ses quartiers, elle n'en laissait rien paraître. Forte, froide et distante – telle était Indira. Personne ne s'étonnait plus de son attitude.

Qui aurait bien pu se soucier de ses états d'âme ? Elle n'avait pas ou si peu d'amis à la Tortue. Certes, Indira était compétente et dévouée, mais ses troubles de santé l'avaient tenue à l'écart des missions jusque-là. Elle s'en sentait un peu responsable et ne faisait que s'enfoncer un peu plus dans la déprime, intérieurement du moins – sa façade lisse n'en laissait rien voir. Tout un univers de faux-semblants cristallisés autour de son âme en peine... Elle était là pour faire son travail, et estimait que tout autre activité nuirait à son rendement, même si parfois – rarement, mais quand même – la solitude se faisait soudain pesante. Comme elle aurait aimé, ce matin, pouvoir se reposer sur une épaule amicale et pleurer la mort de Parvati... Mais non. Le moindre signe de faiblesse pouvait être fatal à toute carrière sur Pandora, et l'Indienne tenait trop à son travail pour se le permettre. Aussi sortit-elle de ses quartiers d'un pas résolu, se dirigeant fermement vers la salle d'examen n°3 où officiait le docteur Lieven.

Parvenue devant la porte, elle toqua et, comme à son habitude, entra sans attendre. Elle savait que si Aleksei était en consultation, le battant serait verrouillé pour prévenir toute intrusion indiscrète ou malvenue. Le Russe apporterait certainement une bouffée d'oxygène dans son esprit malade de chagrin : il partageait avec elle une véritable passion de son métier et une curiosité sans limites. Peut-être parviendrait-il même à la distraire quelques minutes – ce serait toujours un peu de répit gagné. Peut-être estimerait-il qu'elle avait bien progressé et qu'elle pouvait à nouveau sortir avec son Avatar – même avec une protection ? Peut-être pourrait-elle évoluer ailleurs que dans l'enceinte hyper-protégée de la Tortue. L'espoir chevillé au corps, elle referma la porte et salua l'homme qui semblait l'attendre.

| Bonjour, docteur Lieven. Suis-je en retard ? |

Indira était toujours d'une politesse parfaite. Si le Russe décidait qu'aujourd'hui, il leur autorisait une quelconque familiarité, il le lui ferait sentir et la cordialité reprendrait ses droits. Pour le moment, il était médecin, et elle une patiente comme les autres – restait à voir quelle était son humeur de la journée. Attendant qu'il lui indique de la voix ou du geste quelle contenance adopter, l'Indienne croisa les mains devant elle et se tint debout près de la porte, plissant les yeux pour mieux le voir dans la pénombre qui avait envahi la pièce.