WANTED FOR TALKING

Jóhanna était assise au comptoir de la pharmacie principale de la base et feuilletait un magazine vieux de 5 ans qu’elle connaissait pratiquement par cœur. En tant que pharmacologue, elle aurait pu être médecin , mais elle avait préféré la voix plus « scientifique » de cette formation. Elle connaissait certes l’interaction des molécules sur le vivant comme personne et était un gros calibre question physiologie, biochimie, pathologie et biologie, mais elle s’ennuyait. Sa quête était freinée par le fait qu’elle doive partager les laboratoires avec d’autres personnes. O il y avait de la place sur la Tortue, mais l’islandaise aimait avoir son coin à elle. Un coin qui lui inspirait des découvertes et ce coin se trouvait être un endroit très prisé pour les manipulations délicates. Elle devait donc faire des concessions, et durant son temps libre, elle venait donc faire la permanence dans la pharmacie. La plupart du temps, elle n’avait qu’à signer ce que les préparateurs amenaient et donnait son avis sur des traitements alternatif en cas d’allergie. Le reste du temps, elle feuilletait ce magazine, écrivait des chansons ou restait simplement assise en regardant le plafond.

En cette journée cependant, Jóhanna n’était pas comme d’habitude. Elle était sur un nuage, souriant comme si elle était sous l’emprise d’une drogue, il lui avait même pris de fredonner une petite chansonnette avant qu’un des experts ne lui somme d’arrêter. Elle ne comprenait pas tous ces gens sérieux qui voulaient faire de l’infirmerie un lieu stérile. Personne ne pouvait guérir dans un lieu dépourvu de naturel et d’un peu de joie de vivre. Dans un livre qu’elle avait lu, l’un des personnages disait qu’il existe des endroits propice à la maladie et d’autres qui aident à la guérison. Elle ne pouvait qu’être de cet avis. D’une part parce qu’elle savait par expérience ce que c’était que d’être enfermé dans une chambre stérile, sans couleur ni espoir et d’autre part parce que le mental jouait un grand rôle dans la guérison et non stimulé, tout ce processus était ralenti. Mais Paulsen n’était qu’une pharmacienne, voire même qu’une diététicienne aux yeux de certaines personnes qui oubliaient que de ne pas avoir un titre de docteur ou professeur ne voulait pas dire être un idiot ou inférieur. Enfin ces questions là n’allaient pas lui gâcher la journée, car elle était de très bonne humeur. Enfin plus que d’habitude. En partie à cause d’événements récents qu’elle devait absolument raconter à quelqu’un.

Ce quelqu’un, ce serait sans doute Ingrid. Sa grande amie des conversations féminines de pauses de travail. Elle avait rencontré la jeune femme en Guyane, dans des circonstances assez étranges et très comique, pas de quoi fouetter un chat, juste une histoire de drap, de porte et d’embarras, rien qui ne sorte de l’ordinaire. L’islandaise regarda sa montre. Depuis qu’elles étaient arrivées, jamais Ingrid n’avait manqué une pause, cette femme était réglée comme une horloge et débarquait toujours à la minute près à l’endroit où se trouvait Jóhanna. La jeune femme soupçonnait son amie d’avoir des capacités supernaturelles à force de ponctualité et de précisions.

*J’espère qu’elle va m’apporter quelque chose de bon et de pas gras, la dernière fois je n’ai mangé que les amandes du croissant fourré qu’elle a amené…*

Jóhanna se mordit la lèvre. Un croissant fourré, tellement fondant et bon dans la bouche que cela en était une torture. Elle pouvait baver rien qu’en y pensant. Mais il y avait un moyen très efficace de faire taire ses envies. Elle se forçait à penser à ces images ignobles de graisses, de peau d’orange, de cellulite, de bourrelets pour cesser de vouloir manger. C’est ce qu’elle avait aussi fait durant son adolescence, mais en beaucoup plus poussé à l’époque. Au jour d’aujourd’hui, elle arrivait très bien à se faire plaisir….de temps à autre. Elle regarda encore sa montre, commencant à s’impatienter avant de poser son coude sur le comptoir pour avoir un appui sur sa tête. Son regard se perdit dans le vide, alors qu’elle retournait au pays du parfait, se concentrant complètement sur son obsession masculine du moment et sur ce qu’il y avait eu et pourrait y avoir. Elle eu un soupir . Il lui manquait déjà…mais elle se faisait violence pour ne pas l’appeler. Alors sans se rendre compte, elle illustrait l’amoureuse par excellence. Il suffisait juste encore de coller une musique de Disney en fond et on aurait eu un classique.

Jòhanna se redressa, tournant la tête vers la voix qui venait de s’élever près d’elle. La pharmacienne s’empara du petit sac en papier que tenait son amie et regarda dedans, impatiente de voir ce qu’elle ramenait, tout en haussant les épaules.

« Je ne vois pas de quoi tu parles. »

Ce n’était pas qu’elle ne voulait pas parler de Max à Ingrid. Après tout, elles étaient amis, mais la jeune femme n’était pas du genre et je te dis ça et ça et on cancane du matin au soir. La blonde sortit le pain au chocolat lui étant destiné non sans grimacer. Elle ne voyait pas ce délicieux rouleau de chocolat, cette pâte fondante légèrement sucrée, elle ne sentait pas complètement cette bonne odeur de viennoiserie. Ce qu’elle voyait, comme marqué clairement sur le dos du petit pain, c’était le nombre de calorie, et où cela allait se loger. Elle avait appris à vivre avec ça, ce dégout du manger, mais il n’était pas complètement parti. Elle pouvait cependant sans mal manger en appréciant ce qu’elle avalait, sans faire de crise boulimique ou aller vomir après. Enfin, elle ne serait jamais arrivé ici si on l’avait jugé instable psychologiquement. Après tout, elle avait passé des tests et s’était entretenue avec d’imminents psychologues pour passer un à un les épreuves qui l’avaient menée à ce comptoir. La jeune femme regarda autour d’elle et leva les mains dans une consternation affligeante.

« Ben il est où le café ? »

Elle savait que maintenant qu’elle avait écarté le sujet, Ingrid serait curieuse de savoir ce qu’elle pouvait bien cacher. Parler constamment à côté de la plaque était la méthode préférée de Jòhanna pour faire languir quelqu’un. Et de toutes façons, elle ne pouvait pas dévoiler les derniers événements sans café, c’était un blasphème. Soupirant, elle disparut avant de revenir avec 2 tasses fumantes qu’elle posa sur la table et mordit dans son pain au chocolat comme si de rien était. Son interlocutrice attendait. Elle avait ce regard brillant du prédateur qui ne va pas vous lâcher et jouait avec sa tasse de café. Ingrid avait toujours eu une patience à toute épreuve. Depuis qu’elles s’étaient rencontrées, la doctoresse semblait être le pôle calme du duo. Enfin calme, quand elles avaient leur quart d’heure, rien ni personne ne pouvaient les empêcher de rentrer dans des délires digne de collégiennes. Machiavélique comme elle était, elle mâchait extrêmement lentement, faisant un signe à son amie d’attendre qu’elle a fini d’avaler.

« Tu te rappelles du militaire super mignon qui m’avait abordé à un concert l’autre jour ? »

Les introductions étaient toujours un excellent moyen d’amener le sujet et d’exposer les faits. Alors que l’appel à la mémoire d’Ingrid se faisait, Jòhanna ne put s’empêcher de sourire comme une petite fille.

« Ben…je lui ai renversé du café dessus il y a quelques jours, il m’a invité à en boire un dans ses quartiers, on s’est embrassé et je crois bien que je suis casée… »

Vitesse maximale atteinte pour cette partie. En effet Johanna était quand même pudique en ce qui concernait sa vie privée et parler d’elle était toujours un exercice difficile. Elle ne savait pas comment le dire, comment aborder les choses. Personne n’avait jamais été une oreille attentive avant qu’elle ne rentre dans le projet Pandora. Elle commençait tout juste à prendre ses marques et à accepter de pouvoir se reposer sur d’autres personnes, même si la peur qu’on la laisse tomber était encore omniprésente. C’était aussi une des raisons pourquoi elle préférait travailler seule, elle n’avait pas à s’en remettre à son binôme. Et puis il y avait cette gène de parler d’un homme qu’elle appréciait réellement. C’était différent de Lorenzo ou d’autres conquêtes. Elle n’avait rien d’une croqueuse d’homme, elle prenait ce qui passait et cette fois –ci, cela semblait être un bon numéro. Elle but une gorgée de café et en lécha le reste de ses lèvres avant de finalement continuer, d’une manière un peu plus gauche, cela se voyait dans sa gestuelle.

« J’espère juste ne pas être tombé sur un salaud….tous les hommes de ma vie ont été et sont des salauds…ce n’est pas que je crois au prince charmant, ça c’était bon pour quand j’avais 5 ans…mais il me fait du bien…il remplit ce trou affectif…et puis il supporte mon torrent de parole c’est un bon point non ?...quoi ?...pourquoi tu me regardes comme ça ? »