You've got dreams to remember [Garance]

Leanne était excitée comme une puce quand elle ferma la porte de sa chambre. Elle passa les cinq minutes suivantes à déambuler dans les couloirs pour rejoindre le laboratoire, un sourire gravé sur ses lèvres et les yeux pétillants. Non, elle ne venait pas de tomber amoureuse et non, elle ne s'apprêtait pas non plus à rencontrer des Na'Vis et apprendre à voler sur un Ikran. Bien que ces deux raisons l'auraient également rendue particulièrement heureuse. Si l'anthropologue avait terriblement hâte d'arriver dans cette immense salle où les pilotes se connectaient à leur Avatar, c'était pour Garance. Il s'agissait du jour J en ce qui concernait son apprentie : elle allait enfin passer du virtuel au réel. Exit les simulations ; la demoiselle s'apprêtait à passer un nouveau cap et Lee en était extrêmement fière. Elle ne manquerait cela pour rien au monde, elle voulait être présente lors de cette première séance et de plus, il s'agissait d'une obligation. Garance était sous sa coupe, car Hakim et Eileen avaient donné leur accord pour que Leanne soit sa formatrice. Quel mentor serait-elle si elle ne l'accompagnait pas dans ses premiers pas ? En revanche, le bonheur que cet événement lui inspirait était tout personnel. Depuis deux ans, la jeune française avait su se faire une place dans le coeur de Lee, une très grande place. Elle était passée d'élève à protégée, un peu comme la petite soeur que Leanne n'avait jamais pu avoir. Elles partageaient de nombreux points communs dont la soif d'apprendre et une curiosité légendaire. Elles s'entendaient extrêmement bien. La jeune blonde ne lui souhaitait que la réussite, et serait là pour l'aider à monter au sommet et à réaliser ses rêves.

En arrivant au laboratoire, une immense salle où reposaient un grand nombre de caissons blancs, Lee lança un regard circulaire afin de voir si Garance était déjà arrivée. Elles avaient convenu de se retrouver ici à neuf heures tapantes, juste après le petit-déjeuner. Suite à quelques secondes d'observation, Leanne repéra une chevelure brune qui lui tournait le dos. Garance semblait en pleine discussion avec l'un des médecins chargés de veiller sur les Avatars et leurs pilotes. Dommage, Saona était occupée ailleurs ; Leanne aurait préféré que ce soit elle qui vérifie que tout aille pour le mieux lors de cette première connexion. Bien que la neurologue soit la meilleure amie de Lee, cette dernière savait qu'elle n'était pas la seule à faire de l'excellent boulot. Certes elle ne connaissait pas celui qui - apparemment - guiderait Garance aujourd'hui, mais cela ne l'empêcherait pas d'apprécier ses conseils. Après tout, rien que sa présence ici pouvait qu'il faisait partie des meilleurs. La jeune femme se dirigea donc en leur direction, et en passant devant l'un des caissons, aperçut l'image d'Hakim sur l'un des écrans : normal, il était prévenu que la première connexion de Garance avec son Avatar se ferait en cet instant précis. Lui aussi devait être présent pour être certain que tout se passe bien. Il n'interviendrait pas, il n'était là que pour regarder. Lee songea qu'il devait se détendre avec un bon basketball en les attendant, et sourit à cette pensée.

« Pas trop stressée ? » demanda Lee à son apprentie lorsqu'elle fut à sa hauteur, ajoutant un clin d'oeil complice à cette question. Elle salua le neurologue qui s'occuperait de leur connexion puis se tourna de nouveau vers Garance. « Comme on a du te l'expliquer, ton Avatar se trouve juste derrière cette vitre. Le mien aussi, exceptionnellement. On se réveillera ensemble et je pourrais te guider. N'oublie surtout pas d'écouter les médecins qui seront avec nous, ils sont là pour vérifier que le transfert se soit bien déroulé. Ne te précipite pas, prends le temps qu'il te faut. Tu verras qu'un simulateur c'est bien, mais que la connexion à son vrai Avatar n'a rien à voir ! » dit-elle en riant. « On y va ? On se voit de l'autre côté ! »

Leanne lança un regard entendu au médecin pour lui signifier qu'elles étaient prêtes. Elle se dirigea seule dans un caisson et laissa le scientifique expliquer à Garance comment se comporter : poser la tête, ne pas bouger, essayer de ne penser à rien pour que la connexion se fasse plus facilement. Elle lui aurait bien fait un dernier sourire réconfortant, mais malheureusement elles ne pouvaient plus se voir. Puis, bientôt, son caisson fut fermé, et une étrange sensation s'empara d'elle. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle n'était plus dans le même corps.
Lee se trouvait couchée sur un lit, mais totalement libre : elle n'avait plus besoin de check-up entre deux connexions ; d'habitude elle se réveillait sur sa paillasse, dans le foyer que partageaient les pilotes d'Avatar, mais pour aujourd'hui elle avait insisté qu'on la mette dans la même pièce que Garance. Elle ne voulait pas l'attendre dehors, elle voulait être avec elle dès les premières secondes. Dès que son esprit fut rassemblé, Leanne se redressa sur son lit et tourna la tête. Garance venait d'ouvrir les yeux, elle aussi, et deux médecins s'affairaient près d'elle : ils observèrent ses pupilles et claquèrent des doigts vers ses oreilles. Apparemment tout allait bien. Rassurée, Lee s'autorisa un soupir de soulagement. Il n'y avait pas de raison que les choses tournent mal, absolument aucune... Mais elle avait toujours été supra-protectrice avec les gens à qui elle tenait. Et ce n'était pas près de changer !

« Tu te sens comment ? » s'enquit Lee lorsqu'on demanda à Garance de se mettre doucement assise et qu'elle se fut exécutée.

Elle la couvrit d'un regard tendre et fier à la fois, ayant hâte d'écouter ses premières impressions. Ensuite les médecins feraient d'autres vérifiations avec elle, assise puis debout. Et lorsqu'ils la sentiraient prête... à elle l'extérieur !

Les rêves peuvent-ils vraiment devenir réalité? Peut-on un jour accéder à un de nos désirs les plus chers? Il y a quelques années, Garance n'aurait su dire quel était son plus grand rêve. Peut-être obtenir son doctorat. Elle ne savait même pas si elle souhaitait devenir psychologue comportementale, ou chercheuse, ou peut-être même conférencière. Elle voulait voyager, étudier encore et encore. Mais jamais elle ne se serait doutée qu'un jour, on lui confierait une mission telle que celle qui lui incombait : piloter un Avatar. De même, jamais elle n'aurait penser qu'un jour, elle désirerait aussi ardemment une chose. Bien sur, à chaque examens, elle avait souhaité obtenir les meilleures notes, mais à cet instant elle savait déjà que ce serait le cas, ou presque. Ce n'est que lorsqu'elle avait compris qu'elle était devenue une pilote, ce n'est que lorsqu'on lui avait "présenté" son Avatar, qu'elle avait vraiment compris ce que "désirer" voulait dire. Et depuis son arrivée sur Pandora, elle n'avait fait qu'attendre que cet instant arrive. Enfin, elle allait arrêter les simples simulations, et piloter pour de bon.

Garance n'en avait pas dormi de la nuit. En fait, elle n'avait que peu dormi toute cette semaine. Elle en avait été incapable. Elle se sentait excitée, impatiente. Tant d'heures de travail, tant d'efforts fournis, et enfin elle allait pouvoir changer de peau, et devenir une Na'vi.. ou presque. Chaque jours depuis que sa formation avait débuté, elle avait rendue visite à son Avatar. C'était très étrange d'être face à une telle créature, un être qui frôlait la perfection. Elle pouvait reconnaître certaines de ses traits sur le visage de l'Avatar, mais c'était presque une insulte pour celui-ci. Elle avait l'impression de se voir dans un miroir, un miroir qui la rendrait si belle, et si forte. Elle avait la certitude qu'une fois connectée à l'Avatar, elle risquait de s'évanouir de bonheur.
Bien sûr, les simulations lui avaient donné un avant-goût du pilotage, et ses premiers essais lui avaient beaucoup plu. Cependant, au fur et à mesure que Leanne lui expliquait ce qu'on ressentait lors d'un vrai pilotage, Garance avait compris qu'il n'y avait aucune comparaison possible.

En parlant de Leanne, celle-ci venait d'arriver, et lui fit un clin d'oeil. La jeune blonde semblait détendue, et avait le sourire aux lèvres. Garance aussi, mais son sourire était un tantinet plus nerveux. Elle ne se sentait pas anxieuse, juste envahie par une foule d'émotions et si elle n'avait pas craint de passer pour une idiote, elle se serait permis de sauter partout de joie. Incapable d'ouvrir la bouche, elle se contenta d'hocher la tête avec un air qui, elle en était sûr, devait être un peu stupide, puis Leanne s'engouffra dans son caisson, et Garance fut conduite vers le sien. Le scientifique présent lui expliqua rapidement de garder les bras contre le corps, de se détendre et de respirer calmement, et surtout, de ne penser à rien. Le caisson se referma, Garance inspira profondément..

.. et ouvrit les yeux sur un plafond blanc. Il n'y avait plus de caisson, d'ailleurs, elle sentait qu'elle était étendue sur un lit. Tout était flou, tout était blanc, et elle cligna plusieurs fois des yeux, à mesure que sa nouvelle vue s'adaptait à la luminosité de la pièce. Petit à petit, elle prit pleinement possession de son nouveau corps. Quelqu'un fit claquer ses doigts tout près de ses oreilles, et elle plissa légèrement les yeux. Une voix monotone, sûrement le scientifique qui avait claqué des doigts près de son oreille, énonçait quelques détails dont elle ne prit pas garde, puis on lui demanda de se redresser le plus doucement possible, et de s'asseoir. Alors seulement, elle bougea.
Dabord son bras gauche, qu'elle replia pour prendre appui dessus. Puis elle contracta les muscles de son dos pour se redresser. Émerveillée, elle constata que son corps de Na'vi réagissait plutôt bien, même si elle avait l'impression qu'il lui fallait un peu trop de temps pour bouger, comme si elle venait à peine de se réveiller et qu'elle était encore toute endormie, ce qui n'était pas loin de la vérité. Une fois assise, elle se permit de s'observer d'un peu plus près. Elle était vêtue d'une horrible chemise de nuit d'hôpital, mais sous ce bout de tissu, sa peau bleu réfléchissait la lumière. Elle leva la main vers son visage, et observa les muscles jouer sous sa peau, les lignes de sa peau, parfaite et sans défauts, et replia les doigts. En baissant le regard, elle regarda ses longues jambes, qui lui semblaient immenses en comparaison de celle de son corps humain, et elle replia ses orteils avec amusement. Elle inspira profondément, et déglutit. Puis elle se passa la main dans les cheveux, de longs cheveux noirs. Surprise, elle sentit quelque chose dévaler sa joue. Une larme. Puis une autre. Elle pleurait.

Levant les yeux vers Leanne dans son corps d'Avatar, qui la regardait avec un mélange de fierté, d'appréhension et de tendresse, elle ouvrit la bouche, se forçant à utiliser pour la première fois les cordes vocales de ce deuxième corps :

" Je me sens comme dans mon propre corps. Et j'adore ça. " chuchota-t-elle.

Garance était vêtue de cette horrible chemise de nuit blanche et bleue que l'on réservait aux patients d'un hôpital. Le personnel qui avait pris son Avatar en charge ne s'était pas mis en quête de vêtements qui pourraient lui aller ; Lee s'en doutait puisque lors de sa première connexion avec son propre corps bleu, elle avait ouvert les yeux sur cette même horreur. Rapidement, elle fit l'inventaire de ce qui se trouvait dans sa petite armoire - des fringues spécialement recousues par ses propres soins pour ne plus avoir l'air ridicule. Garance était légègement plus petite qu'elle mais cela lui irait malgré tout ; lorsque toutes deux pourraient quitter cette pièce et rejoindre le village, Leanne la conduirait dans le bâtiment de bois où tous les Avatars « habitaient » et lui donnerait quelques vêtements. Nul doute que son apprentie devait avoir bien hâte de changer de tenue, c'était dingue comme l'on pouvait se sentir ridicule là-dedans !

Lee sortit bien vite de ses pensées bien futiles lorsqu'elle remarqua les larmes qui mouillaient les joues de Garance. Son regard se fit encore plus tendre - si cela pouvait être possible, et elle-même sentit une boule se former dans sa gorge et ses yeux la piquer. Heureusement qu'elle ne pouvait pas prendre la jeune femme dans ses bras pour la féliciter où elle se mettrait sûrement à pleurer aussi. Lee était quelqu'un de très émotif et il lui en fallait peu pour que ce soit le déluge sur son visage. Elle pouvait pleurer devant un film ou en terminant un livre l'ayant particulièrement bouleversée - alors que techniquement, les mots la touchaient moins que les images dans ce cas bien précis. En somme, elle pleurait (pour) des gens qu'elle ne connaissait pas, et pour des histoires qui, les trois quarts du temps, n'étaient rien de plus que de la fiction. Alors évidemment, quand cela touchait des proches tels que son élève - et plus encore à ses yeux, il lui était relativement difficile de se contenir.

Garance avoua se sentir comme dans son propre corps, et Leanne se mit à rire. Elles étaient vraiment faites pour s'entendre : l'anthropologue avait quasiment dit la même chose lors de sa première connexion avec son Avatar. En fait, à quelques détails près, elle avait l'impression de se revoir ; de se trouver dans sa propre tête, témoin de ses souvenirs qui étaient en train de rejouer. La pièce blanche, les médecins en blouse de la même couleur, les fils qui la reliaient aux machines, le lit de métal, la fameuse chemise de nuit... Et surtout, le regard abasourdi, les joues trempées, la voix flanchante et... un indiscible bonheur qu'elle n'aurait pu dissimuler même si elle l'avait voulu. Oui, Leanne Campbell avait l'impression de se revoir lors de son Jour J à elle, et ne put s'empêcher de se sentir nostalgique une fraction de seconde. Maintenant, se connecter à son Avatar était devenu une habitude ou presque : elle ne ressentait plus cette adrénaline et cette étrange sensation qui l'avaient assaillie lors des premiers contacts. Et en un sens, cela lui manquait. Un jour, Garance lui ferait cette même remarque, elle en était sûre.

« Tu verras, la suite est encore mieux, » assura-t-elle avant de se tourner vers les médecins. « Allez, messieurs, nous avons du pain sur la planche ; finissez-en avec vos tests pour que notre jeune pilote et moi puissions sortir. »

Elle avait dit cela sur un ton amusé, donner des ordres n'était pas son truc, et surtout pas aux gens qui n'avaient pas à recevoir d'elle. Mais Lee devait bien avouer être carrément impatiente de faire découvrir ses quartiers à Garance. Certes elle y était déjà venue avec son corps humain, mais elle verrait les choses différement sous cet angle. Par exemple, le terrain et le panier de basket qui lui semblaient si immense lui paraîtraient soudain plus appropriés. Normal quand on faisait un mètre et quelques de plus. Alors que les scientifiques en question demandaient à Garance de lever les bras, toucher ses doigts, se mettre debout, et tout ce qui allait avec, Leanne l'observait, attentive aux moindres mouvements et commentaires. Quelque chose attira néanmoins son attention et lorsqu'elle releva légèrement la tête, elle aperçut Saona juste derrière la vitre. Cette dernière se trouvait un peu en hauteur, dans la grande pièce où les caissons étaient installés... et où les corps de Grance, Hakim, Leanne et d'autres attendaient bien sagement que leur esprit y revienne. La blondinette fit signe à sa meilleure amie et leva le pouce en désignant son apprentie, indiquant que tout se passait à merveille. Saona fit un geste signifiant qu'elle était ravie, suivi par un mouvement de la main et un sourire d'excuse ; Lee comprit qu'elle avait du travail et la laissa filer après lui avoir rendu son au revoir. Lorsque son regard se posa de nouveau sur Garance, les blouses blanches commençaient à lui retirer les fils qui la relaient au moniteur, juste derrière le lit.

« Tout est parfait. On vous laisser y aller. Attention en sortant, » prévint l'un d'eux.
« Promis, on ne cassera pas tout ! » rit Leanne.

Elle attendit que les humains aient quitté la pièce pour que l'air Pandorien ne les atteigne pas - ils n'avaient pas de masque. Cette pièce étant considérée comme une sorte de SAS, le système se chargerait de purifier l'air à nouveau quand les deux pilotes seraient dehors et auraient refermé la porte. Quelques secondes plus tard, des infirmières seraient en mesure d'y retourner sans aucun problème et refaire les lits qui accueilleraient d'autres apprentis dans les heures ou les jours à venir.

« T'es prête ? » demanda Lee en se levant sans aucune difficulté, un sourire malicieux aux lèvres. « Grâce à la simulation, tu ne devrais pas avoir trop de mal à faire tes premiers pas. N'oublie pas que tu as une queue maintenant, et qu'elle t'aide à garder l'équilibre. Si tu sens que tu flanches, n'hésite pas à me dire de te soutenir un peu ; tu pourras tomber autant que tu voudras dehors, mais si on cassait leur matériel ils risqueraient de nous en vouloir un bon moment. »

Elle s'esclaffa, montrant à Garance que même si c'était le cas, elle ne devrait pas s'en inquiéter outre mesure. Elle alla ouvrir la porte, laissant les rayons du soleil se frayer un chemin dans la petite salle. Dehors, on pouvait voir le terrain de basket et l'immense maison de bois où ils logeaient tous en arrière-plan. L'un des joueurs s'arrêta en remarquant que quelqu'un allait sortir des locaux scientifiques de la Base et fit un signe. Leanne le salua en retour ; il s'agissait de son supérieur - bien qu'il soit en-dessous d'Eileen, il était expert - Hakim Barrera. Il était aussi et surtout un excellent ami en qui elle avait confiance, mais aujourd'hui il était là pour voir la progression de Garance, la petite jeune qu'il avait laissée sous l'aile protectrice de Leanne. Cette dernière se retourna et se plaça aux côtés de la brunette, ni trop près pour lui laisser de l'espace, ni trop loin pour pouvoir intervenir si jamais elle en avait besoin. Au-dehors, Hakim observait, criant des mots encourageants.

« Ne te mets pas la pression parce qu'il est là, » la rassura-t-elle. « Hakim doit simplement être présent parce qu'à l'origine, tu devais être sous sa coupe et non la mienne. Mais si ça peut t'aider, dis-toi que pour sa première connexion, il s'y est repris à trois fois avant de pouvoir faire plus de dix pas ! » avoua-t-elle avec un clin d'oeil complice, ajoutant ensuite sur le même ton : « Mais garde ça pour toi. On y va ? »

Leanne occulta tout le reste pour ne se concentrer que sur Garance et sa progression. Cachant au mieux l'émotion qui la submergeait toujours face à cette scène ; non seulement parce qu'elle lui rappelait d'autres souvenirs, mais aussi car elle n'aurait pu être plus fière de sa protégée qu'en cet instant précis.

Assise sur le lit, le dos voûté, comme écrasée par les émotions qui la submergeaient, Garance avait l'impression d'être en plein rêve. Il lui semblait impossible d'être en train de vivre une telle expérience. Rendez-vous compte : quelques instants auparavant, elle était dans son petit corps d'humaine. Elle se souvenait encore de ce qu'elle avait fait ce matin en se levant. Elle avait pris une douche, avait lavé ses longs cheveux bruns et avait pris le temps de les démêler. Incapable de prendre son petit déjeuner, elle était restée enfermée dans sa petite chambre, et avait tenté de se plonger dans un bouquin, cependant tout son esprit était resté concentré sur sa prochaine connexion avec son avatar, et au final, elle n'avait pu que fixer la foret qu'elle pouvait apercevoir par la fenêtre de sa chambre. Et maintenant, elle avait quitté son corps d'humaine, du moins son esprit l'avait quitté, et elle avait pour ainsi dire changé de corps. Son nouveau corps, son corps d'avatar, lui semblait en tout point parfait. Et c'est avec un sourire ébahi qu'elle se plia aux exigences des scientifiques. Comme ils le lui demandaient, elle leva le bras droit, le replia, le tendit, fit des mouvements de poignes et plia les doigts plusieurs fois, puis fit de même avec le bras gauche. On lui demanda de se lever, et il lui fallut bien quelques secondes pour quitter le lit et se mettre en position debout. Elle avait l'impression de voler, tant son corps était grand, si grand, bien plus grand que son corps humain! Elle ne put retenir un sourire amusé en constatant à quel point les humains étaient minuscules, comparés à elle. Impatiente, elle trépigna sur place, et eut un léger sursaut lorsque sa queue battit l'air. Voilà quelque chose dont elle allait devoir s'habituer. Satisfaits, les scientifiques la laissèrent quitter les lieux, et elle put suivre Leanne vers l'extérieur..

A son arrivée sur Pandora, elle n'avait pu sortir de la base avant plusieurs jours. On lui avait tout dabord refait passer plusieurs des tests qu'elle avait effectué sur Terre, puis on lui avait dit qu'elle aurait droit à une combinaison étanche pour ses sorties, mais que celle-ci seraient très contrôlées et peu fréquentes. Fort heureusement, lorsque Leanne avait pris Garance sous son aile, elle avait eu la chance de sortir bien plus souvent qu'elle ne l'aurait espéré. Bien sûr, elle n'avait pu quitter les environs de la base, et ses promenades s'étaient souvent faites autour des bâtiments, sur le terrain d'entraînement des avatars, et elle avait pu visiter le bâtiment qui servait de dortoir aux avatars, lorsque les humains reprenaient leurs corps, mais ceci mis à part, elle n'avait pas vu grand chose. Et pourtant, ce n'était pas faute d'avoir demandé, mais les ordres étaient les ordres. Du point de vue de beaucoup, elle n'était encore qu'une enfant, elle n'avait donc pas à traîner dehors. Par conséquent, la seule impression qu'elle avait gardé de l'extérieur, c'est que tout était grand, très grand, mais il faut dire aussi qu'elle avait vu les installations conçues pour les avatars.
Tout allait changer désormais, puisqu'elle avait la taille pour se servir des dites installations. Elle avait la certitude que tout allait lui paraître différent. Elle suivit Leanne, qui lui offrit gentiment son aide si jamais elle, et franchit la porte qui les séparait de l'extérieur.

Dehors, le soleil brillait fort. Garance fit un pas, puis un second, puis suivit Leanne, constatant avec un immense plaisir que tout ses séances d'entraînement, toutes ces simulations n'avaient pas servies à rien, car elle parvenait sans mal à se mouvoir. Si au début ses mouvements lui avaient paru bien trop lent, maintenant elle se sentait aussi à l'aise que si elle s'était trouvé dans son propre corps, et elle n'en fut pas peu fière. Du coin de l'oeil, elle vérifia que Leanne l'observait, et qu'elle constatait que sa petite protégée se débrouillait à merveille -de son avis. L'avis de Leanne comptait beaucoup pour Garance, et elle tenait à lui faire honneur. Elle voulait que son mentor soit fière d'elle. En quittant ses pieds du regard -elle n'avait pu se résoudre à regarder ailleurs, craignant de trébucher sur quelque chose qu'elle n'aurait pas vu tant le sol lui paraissait lointain-, elle aperçut un avatar qui faisait signe dans leur direction. Il s'agissait d'Hakim. Garance se sentit tout de suite nerveuse, et aussitôt son corps d'avatar réagit, sa queue se remit à battre l'air. Si elle s'était regardée dans un miroir, elle aurait pu voir que ses oreilles s'étaient légèrement rabattues vers l'arrière. Elle déglutit, alors que Leanne la rassurait, et lui confiait qu'Hakim avait eu besoin d'un petit moment avant de prendre le contrôle de son avatar. Garance eut un petit rire complice, et fit de son mieux pour écarter l'idée que si jamais elle tombait, par exemple, ou simplement si quelque s'apercevait qu'elle n'arrivait pas à contrôler son avatar, elle en entendrait parler pendant un bon moment. Elle inspira à fond, et rapidement la nervosité laissa la place à l'envie de réussir. Elle repensa à tous les concours qu'elle avait passé. Ce n'était guère différent. Jusque là, elle avait toujours réussi. Elle ne connaissait pas l'échec. Cette fois, c'était la même chose. Elle allait réussir, il n'y avait aucun doute là dessus.
Confiante, elle hocha la tête en direction de Leanne, et se mit à marcher.

Curieusement, il lui semblait qu'elle percevait beaucoup plus de choses qu'elle ne l'aurait du. La brise légère qui faisait voler ses cheveux autour de son visage, et onduler sa chemise, lui apportait des odeurs qu'elle ne connaissait pas, mais surtout, qu'elle n'aurait pas du sentir. Elle se dit qu'il devait s'agir de fragrances rapportées de la foret environnantes, le parfum des fleurs, probablement. De même, son ouie était plus fine. Cela n'avait rien d'étonnant en soi, puisque les Na'vis vivaient en pleine nature, ils devaient avoir des sens un peu plus aiguisés que les humains.

" Tout me semble.. si normal. Je me souviens de la première fois où je suis sortie, dans cette horrible combinaison.. Je me sentais minuscule, insignifiante. Mais là.. j'ai l'impression de faire partie du monde. D'être à ma place. Et ce parfum.. " Elle inspira profondément. " Comment se fait-il que tout me semble si distinct? Par exemple, les deux avatars là bas.. " dit-elle en désignant du doigt deux Na'vis qui descendaient les marches de l'habitation en bois, et qui se trouvaient à plusieurs mètres de là. "La vue des Na'vis est certes excellente, comme j'ai pu le lire dans les manuels que j'ai étudié. Mais est-ce normal que je puisse voir autant de détails? Les Na'vis ont-ils tous des sens aussi affinés? Est-ce que toute leur race s'est développée de façon à ce qu'ils puissent vivre en toute sécurité au milieu de tous les animaux de la foret? Si Charles Darwin vivait encore, il aurait frôlé la crise cardiaque face à une telle évolution d'êtres vivants.. "

Peu consciente du flot de paroles qui franchissaient ses lèvres, elle poursuivit sans s'arrêter.

" C'est extraordinaire. J'ai juste l'impression d'avoir changé de vêtements, d'avoir changé de peau. Pourtant, c'est loin d'être aussi simple : c'est un autre corps! Et pourtant, quand je respire.. " Elle inspira à nouveau à fond. " C'est moi qui respire. Je plains tout ceux qui ne peuvent piloter d'avatar. Ils ratent vraiment quelque chose. "ajouta-t-elle avec certitude. " Par contre, j'ai du mal à m'habituer.. "

Elle saisit sa queue, qui battait l'air de manière régulière.

" Je sais quelle est son utilité, néanmoins.. la sentir, c'est autre chose. "

Se tournant vers Leanne, elle accéléra légèrement le pas, afin de se retrouver devant elle. Ce faisant, elle ne sembla pas se rendre compte à quel point elle avait l'air à l'aise. Piloter ne lui posait plus aucun problème, du moins quand il s'agissait de marcher. Elle n'avait pas encore eu l'occasion de faire de véritables efforts physiques, et les choses pouvaient être totalement différentes à ce moment là.

" Est-ce que je pourrais moi aussi partir en expédition hors de la base? " demanda-t-elle avec une légère excitation.

Les bâtiments scientifiques de la Tortue auraient bien pu s'écrouler, Leanne ne se concentrait plus que sur son apprentie. Aux aguets, elle observait le moindre de ses gestes visant à rejoindre la porte ouverte sur l'extérieur. Garance fit quelques premiers pas hésitants, et la jeune blonde retint son souffle. Tomber ne lui serait pas préjudiciable pour la suite, loin de là. Chaque pilote d'Avatar avait fait des chutes lors de sa première connexion, même après de nombreuses heures d'entraînement intensif sur simulateur. La brunette avait beau être une surdouée, elle n'y échapperait pas non plus. Le contraire ne serait pas juste étonnant mais carrément miraculeux. Même si elle atteignait la cour des Avatars avec facilité, rien ne serait encore joué. Mettre un pied devant l'autre ? Rien à voir avec les sauts et la précision que demandait une partie de basketball... Garance aurait l'occasion de se retrouver sur les fesses un certain nombre de fois, et Leanne serait la première à en sourire tout en la rassurant. Après tout, quelques temps plus tôt, cela avait été son tour... Et son mentor ne s'était absolument pas gêné pour lui faire comprendre à quel point les cascades de miss Campbell l'amusait ! Une nouvelle fois, observer Garance lui rappela de nombreux souvenirs, exceptionnels pour la plupart - sinon tous. Elle espérait de tout coeur que lorsque cette journée se terminerait, Garance la considérerait comme l'une des meilleures de toute son existence. Lee se promit de faire son maximum pour que les prochaines heures soient inoubliables à ses yeux... comme Hakim l'avait fait avec elle. Si bien que de professeur, il était devenu l'un de ses meilleurs amis. Leanne n'en attendait pas moins de sa relation avec Garance : elle souhaitait lui faire comprendre qu'elle n'était pas qu'un mentor pour elle, mais une grande soeur sur qui elle pouvait compter. Peu importe ses problèmes.

« Bravo, tu as réussi ! » s'extasia Lee lorsque Garance eut passé la fameuse porte, et ses deux grandes mains bleues se touchèrent pour applaudir l'exploit.

Elle se tut ensuite, laissant son apprentie prendre pleinement conscience de son nouveau corps et de ses capacités. Elle en profita pour refermer la salle de la base où les premières connexions se déroulaient systématiquement, sous l'oeil aiguisé de médecins et d'un pilote plus expérimenté. Puis elle se retourna et observa les alentours, presque aussi subjuguée que la demoiselle qui l'accompagnait. Lee n'en revenait pas, et pourtant la réplique de ce village se trouvait bel et bien en Guyane, elle l'avait eu sous les yeux pendant deux ans ! Mais ici... Ici, ça prenait un tout autre sens. Ici, elle pouvait voir l'immense forêt Pandorienne s'étendre jusqu'à l'horizon, sur des centaines, des milliers de kilomètres. Ici, les pilotes d'Avatars pouvaient se rendre au jardin pour manger de vrais fruits provenant de cette planète. Ici, des bruits arrivaient jusqu'à leurs oreilles aiguisées : des cris d'animaux, des prédateurs chassant leurs proies. Ce lieu, bien que quasi identique à celui en Guyane, était d'une authenticité indéniable. Et puisque les membres de l'expédition n'étaient pas là depuis plus d'une semaine, Lee se montrait toujours aussi fascinée par tant de beauté. En fait, elle se demandait si elle cesserait de l'être un jour. Pouvait-on s'habituer à un tel spectacle ?

A sa droite, le jardin et ses aliments juteux. A sa gauche les pistes d'obstacles. Juste en face, le terrain de basket où jouait Hakim. Et derrière ce fameux terrain se dressait l'immense cabane en bois, lieu de vie et de repos des Avatars. Lee allait y guider Garance lorsque celle-ci choisit de partager ses pensées, après quelques secondes passées à tout sonder autour d'elle. Cet endroit devait lui paraître bien différent, maintenant qu'elle le voyait plus en hauteur. Leanne écouta son apprentie avec attention, souriant à ses remarques. Elle parlait précipitamment, comme si les idées affluaient si vite dans sa tête qu'elle avait du mal à toutes les formuler. Lorsqu'elle évoqua deux Avatars descendant les marches de la cabane, Leanne détourna son regard et suivit celui de Garance. Elles les connaissait, et leur fit d'ailleurs un petit signe, avant de rire à l'évocation de Charles Darwin.

« Je suis bien d'accord avec toi. Et pour répondre à toutes questions : oui, mais tu devais d'ores et déjà t'en douter. Si nous n'avions pas sacrifié la Nature pour le béton, le confort et les nouvelles technologies, peut-être en serions-nous arrivés là nous aussi. Avec des sens beaucoup plus développés que ceux que nous possédons actuellement. Il faut au moins ça pour chasser comme les Na'Vis le font. Et comme tu l'as souligné, la forêt recèle mille et un dangers, même pour eux... Il faut bien qu'ils puissent se défendre. »

Lorsque Garance eut une pensée pour ceux qui ne pilotaient pas d'Avatar, Lee songea à sa soeur de coeur, Saona. Certes la jeune femme n'était en rien jalouse de ceux qui pouvaient se promener sous une apparence autochtone, mais Leanne la connaissait assez bien pour savoir qu'elle aurait adoré faire partie de son groupe, en plus d'en prendre soin et de surveiller leurs connexions. Et puis, la jeune blonde devait avouer que si Saona avait été là, les choses seraient encore plus formidables. Oui, elle aussi plaignait ceux qui ne pouvaient pas se mettre dans cette peau bleue. Ils ne verraient jamais Pandora de la même façon...
Lee sortit de ces pensées, alors que Garance venait de saisir sa queue, avouant qu'elle avait un peu plus de mal à s'habituer à cette nouvelle partie de son corps. Lee eut un sourire en sa direction, un sourire rassurant qu'elle saurait décrypter : ça viendrait... Comme pour le reste, il fallait juste un peu de temps et au bout d'un moment, elle n'y penserait même plus. Garance finit par dépasser Lee, et celle-ci ne cessait de se dire à quel point elle était fière de sa protégée. Elle se débrouillait comme un chef pour une apprentie qui entrait pour la toute première fois dans son corps d'Avatar. Pressée de connaître la suite des événements, cette dernière demanda d'ailleurs si elle pourrait bientôt sortir de la base.

« Bien sûr, » acquiesça Lee. « Et d'après ce que je peux constater, je suis en mesure de te dire que ça ne saurait tarder. »

Elle se réjouit de voir les yeux de Garance pétiller, et d'y lire une grande impatience. Elle s'en sortait vraiment très bien et si Lee demandait l'autorisation à Hakim et Eileen, nul doute que la brunette pourrait quitter la Tortue d'ici quelques jours au maximum. Bien sûr, un membre de l'équipe ou un expert devrait l'accompagner, ainsi qu'un protecteur - mais ça c'était pour tout le monde - toutefois elle pourrait au moins se délecter de la forêt de Pandora.
Alors qu'elles contournaient le terrain de basket, Hakim marqua un panier et le ballon tomba non loin de Leanne. Elle le ramassa et s'apprêtait à le lui lancer lorsqu'il héla les deux jeunes femmes.

« Une partie, les filles ? Vous deux contre moi ? »
« Tu veux rire ? » répondit son amie d'un air amusé. « Je vais d'abord trouver des vêtements plus appropriés à Garance, je ne crois pas qu'elle ait envie de se trimballer dans cette chemise de nuit d'hôpital plus longtemps. Après, on avisera, mister Barrera. »

Hakim haussa les épaules, d'un air signifiant que ça n'était que partie remise et Lee lui renvoya son ballon. Il l'attrapa au vol, parfaitement à l'aise et maître de son grand corps bleu. Lee guida Garance à l'intérieur de la cabane ; nul doute que l'apprentie serait encore une fois bouche bée devant un tel lieu, surtout qu'elle n'y avait encore jamais mis les pieds. De part et d'autres des portes se trouvaient des paillasses sur lesquelles reposaient des Avatars. Ils semblaient en plein sommeil, en réalité ils attendaient que leur hôte quitte leur corps humain pour les rejoindre. Certaines couchettes étaient désertes, dont celle de Lee et de Hakim par exemple. La blondinette remarqua que l'espace personnel d'Eileen Byrnes était vide : sa supérieure se trouvait certainement sur le parcours d'obstacles ou dans le jardin. Ou alors, troisième solution, elle était partie faire un tour dans la jungle de Pandora.

« C'est là où nous laissons nos Avatars quand nous les quittons. Chaque pilote a sa couchette et une petite armoire pour y ranger d'éventuelles affaires. Celle que tu vois ici, » dit-elle en arrivant presque tout au fond, désignant une paillasse en particulier, « est la tienne. A côté et juste en face il y a celles des quelques autres apprenties. » Garance s'éloigna d'une vingtaine de pas et ouvrit un tiroir de son meuble personnel, sortant deux shorts, deux pantalons et cinq t-shirts soigneusement pliés en une pile parfaite. Elle revint vers la jeune française et lui tendit le tout, sourire aux lèvres. « Un petit cadeau de bienvenue. Je les ai faits pour toi, ça te permettra de quitter cette horrible... guenille ! » rit-elle. « Je te laisse te changer et ranger le reste, je sors une minute voir Hakim. Tu n'auras qu'à nous rejoindre quand tu auras fini, d'accord ? »

Un clin d'oeil complice plus tard, Lee se retrouvait sur le terrain de basket en compagnie de son ami.

Garance ne pouvait imaginer que les êtres humains, s'ils ne s'étaient pas enfoncés dans un confort illusoire et surtout néfaste pour eux, puisque supprimant toute nature, auraient peut-être fini par développer des capacités semblables à celles des Na'vis : une ouie plus fine, capable de percevoir des sons trop faibles pour l'oreille humaine, par exemple, ou une meilleur odorat, et peut-être tout simplement, un meilleur instinct. Pendant toutes ces longues semaines d'études, alors que Garance dévorait tout ce qui lui tombait sous la main et qui traitait de Pandora et de ses habitants, il lui avait semblé que les Na'vis et les humains étaient tout de même assez proche. Maintenant qu'elle avait quitté son enveloppe humaine pour celle d'une de ces magnifiques créatures, elle ne pouvait qu'affirmer qu'il n'y avait de commun entre les deux espèces que l'apparence humanoïde. Il lui tardait de tester un peu plus son corps, mais ce ne serait pas pour tout de suite. Malgré son aisance, il lui semblait que ses jambes et ses bras étaient lourds, mais elle n'y fit pas vraiment attention, toute à son bonheur de réussir à marcher. Sa joie n'était pas loin de celle d'une toute jeune enfant qui fait ses premiers pas, et qui se retrouve sous les applaudissements de ses parents. Et lorsque Leanne lui répondit qu'elle pourrait très certainement sortir de la base d'ici quelques jours, Garance ne se tint plus de joie, et tourna ses grands yeux pétillants vers les arbres dont le sommet apparaissait derrière les hauts murs qui encerclaient toute la base.

La base dans laquelle ils avaient été accueillis quelques jours plus tôt était certes agréable, ou plutôt, il y avait le confort nécessaire, et Garance n'avait pour l'instant pas eu à se plaindre. Mais curieusement, en se tournant vers l'imposante foret, tout lui semblait différent. Lors de sa première sortie, sous cette épaisse combinaison, elle avait bien sûr pu apercevoir ce qu'il y avait en dehors de la base. De la fenêtre de sa chambre, elle pouvait même distinguer un bout d'une montagne éloignée. Elle se souvint qu'elle avait ressenti une envie d'aller explorer l'extérieur, mais ce n'était rien comparé à ce qu'elle ressentait maintenant qu'elle était dans le corps de son avatar. Son visage qui, quelques instants auparavant, exprimait une réelle impatience, redevint sérieux. Elle n'avait plus seulement envie de sortir de l'enceinte de la base, elle en éprouvait le besoin. Tout son corps lui criait de sortir. Il lui semblait que ses pieds n'étaient fait que pour fouler le sol recouvert de mousse de la foret, que ses mains n'aspiraient qu'à toucher l'écorce rugueuse des arbres, et son coeur battit un peu plus fort.
Elle n'entendit même pas la petite discussion qu'eurent Leanne et Hakim. Le regard obstinément fixé vers l'extérieur, elle était absorbée par ses pensées. Jamais encore elle n'avait ressenti quelque chose d'aussi intense, et pourtant, elle pouvait se vanter d'avoir vécu beaucoup de choses, pour une jeune femme de son âge. Elle connaissait les souffrances d'une enfance passée à l'orphelinat, bien qu'elle n'y soit restée que peu de temps, et trop tôt, et pendant trop longtemps, elle avait goûté à l'amertume de la solitude que lui infligeaient les adolescents de son âge, peu désireux d'être amis avec une surdouée. Elle s'était sentie seule, et étrangère, abandonnée, puis chérie et aimée. Elle s'était souvent retrouvée sous les feux de la rampe, si l'on peut dire, puisque première de sa classe, et exemple choisi par ses professeurs pour inciter ses camarades de classe à mieux travailler. Elle s'était sentie détestée, aimée, enviée, haïe, elle avait expérimentée bien trop de choses, de sentiments, pour une personne d'à peine 21 ans. Elle était partie étudier à l'étranger, quand beaucoup d'adolescentes de l'âge qu'elle avait, soit 15 ans seulement, découvrent tout juste les tourments de l'amour. Elle s'était retrouvée dans un pays étranger, mais n'avait rien connu de plus exaltants que d'avoir de bonnes notes et de faire la fierté de ses parents. Elle n'avait jamais ressenti d'amour pour une garçon, n'avait jamais été aimée comme une jeune femme, l'amour avec un grand A, elle en était encore totalement vierge. Elle n'avait que 21 ans, elle connaissait trop de choses, et en ignorait également un trop grand nombre. Rien d'aussi fort que ce qu'elle éprouvait en cet instant ne l'avait jamais traversé. Il lui semblait que tout son corps vibrait. Plus rien n'existait. Elle oublia tout, l'espace d'une petite seconde, et à ses oreilles, ne retentissait que le chant vibrant, l'appel déchirant d'un univers qui l'invitait à s'unir à lui.

Le retour sur Terre, ou plutôt sur Pandora, fut brutal, et elle sursauta lorsque Lee la guida vers l'habitation en bois qu'elle avait aperçu. Garance coula un dernier regard vers la foret, et se promit de demander à Leanne si cette sensation d'appartenir corps et âme à cette planète l'avait elle aussi traversée lors de sa première connexion, et si c'était chose normale. Leanne lui expliqua rapidement à quoi servait cette maison de bois, et conduisit Garance vers sa couchette, puis lui offrit généreusement des vêtements à sa taille avant de la laisser se changer, et Garance se retrouva seule.

Elle posa ses tout nouveaux vêtements sur son tout nouveau lit, et entreprit de se débarrasser de la chemise de nuit dont les médecins l'avaient affublés, et la roula en boule pour la jeter sur son lit sans regret. Sans plus attendre, elle enfila un t-shirt, un short, et se sentant tout de suite plus à l'aise, se dirigea vers la porte. Leanne étaient en plein conversation avec Hakim, et Garance mit le pied sur la première marche pour descendre de la cabane.. et son corps ne lui répondit plus du tout. Ses jambes se fléchirent, ne portant plus son poids, alors que quelques secondes avant, elle marchait normalement et sans mal. Elle sentit son corps basculer vers l'avant, voulut se rattraper mais ses pieds semblèrent s'emmêler. Elle voulut tendre les bras pour amortir sa chute, et même si elle tendit effectivement les bras, ce ne fut pas pour se rattraper, on aurait plutôt dit qu'elle imitait un plongeur, et elle dévala les escaliers, se retrouvant sur le gravier, à plat ventre, les bras tendus devant elle et l'air stupéfait.

Leanne et Hakim conversaient sur la jeune apprentie ; la blondinette tentait de convaincre son supérieur que Garance serait rapidement à même de quitter la base en leur compagnie. Evidemment, elle avait encore beaucoup de choses à prouver car elle venait de se connecter à son Avatar pour la toute première fois. Lorsque Garance apparut en haut des marches de bois, Lee était en train de dire à Hakim qu'elle se chargerait de son premier entraînement. Et surtout, qu'il n'avait pas besoin d'y assister ou la jeune Française risquerait d'être déstabilisée. L'expert hocha la tête, comprenant que sa présence pourrait nuire à la pilote débutante lors de ses premiers efforts. Il n'avait nul besoin de tout voir : il ne se permettrait de l'observer que lorsque Leanne demanderait sa permission pour une sortie. Alors, il jugerait de sa préparation et donnerait son aval... ou son refus. Pour l'heure, il indiqua à sa collègue qu'il resterait encore une vingtaine de minutes sur le terrain de basket avant de rentrer et de reprendre possession de son corps humain. Lee hocha la tête, satisfaite, et s'apprêtait à le remercier lorsqu'un petit cri suivit d'un bruit sec la firent détourner le regard.

Garance venait de tomber dans les escaliers, et se trouvait désormais à plat ventre sur le sol, les bras tendus devant elle et l'expression complètement perdue. Ou plutôt, elle affichait un air hagard qui fit sourire Hakim. Lee s'avança vers son apprentie sans précipitation aucune : la jeune femme allait bien et avait simplement besoin qu'on l'aide à se remettre debout. Elle lui tendit son long bras bleu et força sur ses muscles d'Avatar. En quelques secondes, Garance fut de nouveau sur ses pieds et s'époussetait machinalement. Elle avait l'air embarrassée, si bien qu'elle n'avait même pas pensé à vérifier si elle n'avait aucune égratignure. Avant de prononcer un mot en sa direction, Lee fit ce petit check-up pour elle, laissant ses yeux se balader sur le corps de la pilote ; ses mains et ses coudes n'avaient rien, en revanche son genou gauche saignait un peu. Lee se baissa pour examiner la blessure et constata avec soulagement que ça ne pourrait pas être plus bénin. Rassurée sur l'état de santé de Garance, elle se releva, un sourire rassurant aux lèvres, ignorant Hakim qui, après avoir passé dix secondes à applaudir la demoiselle, était enfin retourné à son basket.

« Je me demandais quand tu allais tomber ! » rit-elle. « Ne pas subir de chute lors de sa première connexion, c'est anormal. Je sais que tu es très douée dans beaucoup de domaines, mais je n'en attendais tout de même pas moins de ta part. » Elle lui donna un coup de coude amical, avant d'enchaîner, les yeux rivés sur son supérieur. « Hakim plaisante, attends-toi à ce genre de choses avec lui. Cela ne te discrédite en aucun cas auprès de lui, je tiens à ce que tu le saches. Ma pauvre, je ne tiens même plus compte du nombre de fois où c'est de moi dont il s'est gentiment moqué ! En tout cas, je viens de parler avec lui ; comme ton genou semble aller très bien, on va pouvoir commencer ton entraînement. Juste toi et moi. Et dans une poignée de jours, quand je te sentirais prête, il sera là pour te voir faire et il te dira si tu peux quitter la base. Ca te convient ? »

La question était plus pour la forme qu'autre chose, Garance étant une apprentie, elle n'avait aucune incidence sur le déroulement des événements. Elle pouvait simplement écouter ses supérieurs - Lee, Hakim ou Eileen - et exécuter leurs ordres. Toutefois, Leanne aimait bien savoir si la situation convenait à la jeune pilote. Elle détestait imposer et pour elle, le bien-être de Garance était primordial afin que l'entraînement se déroule le mieux possible. Si quelque chose déplaisait à cette dernière, il lui suffirait d'en informer Lee et une solution qui contenterait tout le monde serait rapidement trouvée. Quoi qu'il en soit, Leanne doutait que Garance ait quoi que ce soit à dire sur les plans de son mentor ; promettre une sortie imminente à une apprentie qui venait de faire sa première connexion, ça ne se voyait pas tous les jours ! Elle était chanceuse et elle en avait forcément conscience.

« Histoire que tu reprennes un peu avant que l'on entre dans le vif du sujet, je te propose un petit tour dans le jardin. Tu pourras ainsi t'habituer tranquillement au quartier des Avatars, » proposa Leanne tout en la guidant vers le coin en question.

Toutes deux marchaient côte à côte. Lee s'avança un peu plus pour ouvrir le portillon qui menait au jardin. Cette fois, plus de bitume ou de gravier : il n'y avait que de l'herbe, des arbres et des fruits. Bien évidemment, comme tout avait du être mis en place par les membres de l'expédition suite à leur arrivée - ils se trouvaient sur un lac, il ne fallait pas l'oublier - rien n'avait très bien poussé encore. Toutefois quelques fraises rapportées de Terre étaient déjà comestibles, atteignant une taille inhabituelle grâce à Pandora - celle d'un poing humain à peu près. Lee fit quelques pas en direction de cette source de nourriture, en cueillit une et interpella Garance avant de la lui lancer. La pilote n'eut aucun mal à l'attraper au vol, et Leanne la félicita.

« Bravo ! Bons réflexes ! Je t'en prie, fais-toi plaisir, je crois que je vais m'en prendre une aussi... » ajouta-t-elle, clin d'oeil complice à l'appui.

Elle se servit aussitôt et mordit dans le fruit juteux, peu habituée à voir des fraises aussi grosses et sucrées. Sur Terre, elles ne dépassaient pas les dix centimètres. Lors de la précédente expédition, celle de Jake Sully et du Docteur Augustine, les scientifiques avaient rapporté que des graines terriennes plantées sur Pandora et grandissant dans cette atmosphère pouvaient donner de suprenants résultats. Par exemple les fraises, qui adoptaient la taille démesurée de tout ce qui appartenait à cette planète et s'y développait. Leanne pouvait désormais voir cela de ses propres yeux, et en plus d'être gros, les fruits en question avaient un goût différent. Meilleur. Elle nota dans un coin de sa tête qu'il lui faudrait prendre des clichés du jardin, quand il serait plus développé. Elle n'hésiterait pas à lui consacrer un article dans le livre qu'elle commençait d'ores et déjà à rédiger le soir et quand elle avait un peu de temps libre.

« Alors, » reprit Lee après une nouvelle bouchée de sa fraise. « Comment tu te sens ici ? Ce n'est pas trop dur d'avoir quitté la Terre, tes parents et tes amis ? Je sais que tu en étais séparée depuis le début de l'entraînement mais tu pouvais toujours les voir lors de tes permissions. Là, c'est différent... As-tu pensé à leur envoyer une vidéo ? »

Avant de commencer les exercices, Leanne voulait profiter d'un instant privilégié avec Garance pour savoir si tout allait bien pour elle. La brunette n'était pas que son élève pilote, elle était sous sa responsabilité dans tous les domaines. Et Lee avait appris à la connaître en deux ans, partageant avec elle de nombreux points communs et une complicité évidente. Le bien-être de Garance comptait énormément, voilà pourquoi elle avait décidé de rencontrer Wulan, voilà pourquoi elle lui posait des questions sur la séparation d'avec ses proches, restés sur Terre. Certes, des messages vidéo pouvaient toujours être enregistrés, et ils seraient régulièrement envoyés au cours de l'expédition. Mais cela prenait du temps. Il fallait que le « courrier » arrive sur Terre, puis que de nouveaux messages repartent en direction de Pandora. Il faudrait certainement des mois pour que Garance reçoive une réponse de ses parents et elle devait le savoir. En attendant, les choses pouvaient être difficiles pour elle, plus qu'elle ne le laissait percevoir. Leanne voulait juste s'assurer que sa protégée se sentait à sa place ici et surtout, qu'elle se montre courageuse face à la soudaine solitude qui assaillait chacun des membres ayant laissé des êtres aimés derrière eux... cinq ans plus tôt.

Garance était encore toute surprise de se retrouver par terre, alors que quelques minutes auparavant, elle bougeait, marchait, sans aucun soucis. Elle se sentit toute bête, et mit plusieurs secondes à comprendre comment elle avait bien pu tomber. Leanne eut un sourire mi amusé, mi indulgent, et l'aida gentiment à se relever, alors que plus loin, Hakim ne se privait pas de rire de la maladresse de l'apprentie. Garance se remit sur pied, mais eut honte d'elle même et se sentit rougir. Enfin, elle sentit une vague de chaleur envahir son visage, et elle songea que si elle n'avait pas été aux commandes de son avatar, ses joues d'humaine seraient certainement devenues écarlates. Leanne prit le temps de la rassurer, tout en vérifiant qu'elle ne s'était pas blessée, mais Garance n'était pas tombée de bien haut, et à part un léger lancement dans le genoux, tout allait bien.

" Merci. Je n'ai même pas eu le réflexe de me retenir. Mes bras ont refusés de m'obéir, c'est un comble! " confia-t-elle avec amusement, rassérénée quand au fait que tous les pilotes sans exception avaient eu du mal à prendre le contrôle de leur avatar. " Toi aussi tu es tombée? Parce que c'est un peu humiliant. Je n'ai pas l'habitude de me ridiculiser, ça ne me va pas au teint. " plaisanta-t-elle.

Leanne lui révéla alors qu'elle avait discuté rapidement avec Hakim, et que si celui-ci la jugeait apte, elle pourrait peut-être quitter la base. Garance en resta bouche bée. Elle savait que peu d'apprentie mettait le nez hors de la base, pour la simple et bonne raison qu'il aurait été bien trop dangereux d'aller se promener dans la foret, avec son lot de bêtes sauvages, sans être capable de piloter son avatar à la perfection. Bien sûr, après un certain temps, tout le monde était autorisé à découvrir l'extérieur de la base, mais à plus ou moins long terme, et Garance n'en était qu'à sa toute première connexion. Elle sut tout de suite qu'elle devait cela à Leanne, qui avait du voir en elle une grande impatience et un profond désir de sortir. Autrement, elle aurait du attendre, comme tout le monde. Il était normal que les apprentis n'aient pas la priorité. Après tout, ils n'avaient pas de véritables rôles, ils n'étaient que de minuscules rouages de cette grande organisation installée sur Pandora. Si elle arrivait à obtenir d'Hakim l'autorisation de sortir, si elle parvenait à contrôler suffisamment son avatar pour cela, elle pourrait se promener autour de la base. Il lui sembla que son coeur allait exploser et un sourire reconnaissant fleurit sur ses lèvres.

" Merci. " dit-elle avec une profonde sincérité. "Je te prendrais bien dans mes bras, mais j'ai bien trop peur de faire un faux mouvement et de me retrouver à nouveau par terre. " ajouta-t-elle avec un rire.

Elle suivit Leanne dans les jardins, et Garance apprécia de quitter l'ambiance trop urbaine et bétonnée pour un décor plus vert. Lee lui lança une fraise, que Garance attrapa. Cette fois encore, elle fut surprise. Elle ne comprenait plus du tout comment son corps fonctionnait, et d'ailleurs, elle le fit savoir à Lee.

" Tu trouves que j'ai de bons réflexes? " dit-elle. " Parce qu'au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, j'ai embrassé une bonne poignée de graviers toute à l'heure. C'est peut-être normal, mais voilà que maintenant je jongle avec des fraises qui sont.. wahou, énormes! " s'exclama-t-elle en daignant enfin jeter un coup d'oeil à la fameuse fraise qu'elle pouvait à peine tenir dans sa main. " Je sais que c'est normal. Enfin, que c'est normal ici, sur cette planète. Mais une fraise de cette taille!"

Et elle mordit dedans. Leanne aborda alors un sujet totalement différent, et voulut savoir comment allait Garance depuis qu'elle avait débarquée sur Pandora. Garance prit le temps de répondre, mâchant consciencieusement sa bouchée de fraise.

" Je vais bien, je crois. Je n'ai pas l'impression que cinq ans se soient écoulées depuis la dernière soirée que j'ai passé avec mes parents. Tu sais, j'ai compté le nombre de fois où j'ai pu les voir pendant les deux années d'entraînement : 8 fois. A l'époque, je m'en contentais, je ne m'étais pas vraiment rendue compte que j'allais devoir quitter mon père et ma mère. Ils étaient tellement fiers de moi, que nous n'avons jamais abordé le sujet. Pendant notre entraînement, il m'était toujours possible de les appeler. Pour l'instant, je n'ai pas l'impression d'être partie pendant longtemps. J'ai l'impression qu'hier encore, j'étais avec eux. Les cinq ans de voyage jusqu'ici ne m'ont semblé durer que quelques jours. Alors que pour mes parents, je suis partie depuis 5 ans. Il me tarde d'avoir de leurs nouvelles! Je leur ai envoyé un long message dès le deuxième jour. Je sais que.. ça prend du temps.. mais j'aurais aimé qu'ils soient là, pour me voir. Quoi que, me voir sous cette apparence leur aurait peut-être causé un choc. " sourit-elle. " Mais j'ai de la chance, je crois. Parce qu'il n'y a que mes parents qui me manquent, et ici, j'ai pu trouver deux personnes extraordinaires : Wulan et toi! Wulan est très gentille avec moi, et si tu n'étais pas là, je serais sûrement très triste. Comme je n'avais pas du tout d'amis, d'une certaine manière ça s'est équilibrée. Ma famille est loin, mais j'ai des amies ici. Pour l'instant, je me sens bien. "

Et c'était vrai. Pour l'instant, elle n'avait pas eu le temps de ressentir le manque que l'absence de ses parents provoquait. Ils lui manquaient, bien sûr, mais pour le moment, elle n'avait pas trop à en souffrir. Et comme elle l'avait fait remarquer à Leanne, comme elle n'avait pas d'amis sur Terre, elle ne se sentait pas trop seule.

" Dis moi Leanne, pourquoi as tu voulu faire partie de l'expédition pandorienne? Tu comptes écrire un nouveau livre avec ce que tu apprendras ici? " demanda-t-elle alors.

Leanne esquissa un sourire réconfortant et se dit que si Garance avait pu rougir dans ce corps-ci, elle serait écarlate. La jeune apprentie expliqua alors que ses bras avaient tout simplement refusé de lui répondre - tout comme ses jambes - avant de lui demander si elle aussi était tombée. Face à sa remarque pleine d'humour, Lee se mit à rire mais finit par la rassurer. Elle lui avoua alors que malgré son entraînement intensif sur simulateur, elle avait fait plusieurs chutes douloureuses lors de ses premières connexions. Elle voyait encore son Avatar comme quelque chose d'étranger et de récalcitrant, qu'on lui avait pourtant intimé de contrôler rapidement. Tout le monde passait par des petits bobos de rien du tout au début, c'était chose courante et Garance devait bien garder cela à l'esprit. Ce n'était pas parce que la brunette tombait et retombait qu'elle était forcément nulle en pilotage. Lee avait beau se triturer les méninges, elle ne se rappelait pas qu'un membre de son équipe avait brillé dès le début avec sa version bleue de presque trois mètres. Même Eileen Byrnes, qui était pourtant leur supérieure, avait forcément eu quelques soucis au début de son apprentissage.

Maintenant rassurée, Garance pouvait avancer dans sa propre initiation. Lee lui parla tout d'abord de sa future sortie de la base. Bien sûr, les apprentis ne pouvaient pas la quitter seuls avec des protecteurs, il fallait forcément un autre pilote - de préférence expert - en leur compagnie. Hakim remplirait parfaitement ce rôle, et Lee pourrait éventuellement les accompagner lorsque ce jour viendrait. Pour avoir ressenti la même impatience lors de son arrivée, Leanne savait à quel point Garance voulait fouler la forêt de Pandora. Elle devait en rêver la nuit, s'imaginer des tonnes de choses... Elle était une excellente élève et une jeune femme adorable ; elle méritait de ne pas attendre des semaines avant de pouvoir réaliser ce rêve. Lee souhaitait le lui offrir puisque c'était dans ses cordes, voilà pourquoi elle avait tenu à discuter un peu avec Hakim quelques minutes plus tôt. Ravie de sa réponse, Lee s'était empressée de la transmettre à Garance. La jeune brune la remercia chaleureusement, annonçant qu'elle l'aurait bien prise dans ses bras mais qu'elle avait peur de se retrouver par terre pour la seconde fois de la journée.

« Je retiens que tu me le dois, » dit-elle d'un air complice. « Tu me sauteras dans les bras quand tu t'en sentiras prête, de toute façon j'ai dans l'idée que ce sera forcément pour bientôt. »

Elle ponctua ses mots d'un clin d'oeil amusé et proposa une petite visite des jardins. Tombant sur des fraises importées de Terre et grandissant dans l'atmosphère Pandorienne, Lee en attrapa une et la lança à Garance sans la prévenir. Elle vit sa protégée tendre un bras et capturer le fruit sans mal dans sa grande main. Ce qui, au passage, lui arracha une expression de surprise. Lee se mit à rire alors que Garance l'interrogea sur ses réflexes, mettant en avant sa chute toute récente. Elle hocha la tête, indiquant que oui, elle la pensait dotée de bons réflexes, et la laissa s'émerveiller devant les énormes fraises du jardin. Leanne ne tarda pas à mordre dans la sienne, savourant son goût encore plus sucré que d'ordinaire. Elle avait bien l'intention de manger souvent ici - ou plutôt gignoter ; elle adorait déjà les fruits sur Terre - ces aliments étaient presque devenus un luxe quand on voyait le prix qu'ils coûtaient d'ailleurs - alors dévorer des fraises ou des cerises grosses comme des poings... Ca ne laissait pas sa gourmandise indifférente, loin de là ! Et puis, elle avait également hâte de goûter à la nourriture Pandorienne. Même les Teylus, ces larves que dévoraient les Na'Vis pour leurs protéines, ne la rebutaient pas plus que ça. Avec son métier et ses voyages, elle avait eu l'occasion d'avaler des trucs tout aussi étranges !

« Bon appétit ! » lança Lee avec un sourire, n'hésitant pas à plonger à nouveau ses dents dans le fruit juteux.

L'anthropologue détourna ensuite la conversation sur Garance et son adaptation à la Tortue. Comme beaucoup de gens - sinon tous - elle avait laissé des personnes aimées derrière elle en quittant la Terre. Des personnes qui avaient cinq ans de plus aujourd'hui, alors que les membres de l'expédition semblaient ne pas avoir vieilli - ce qui était vrai grâce à la technique de la cryo. Lee avait l'impression d'avoir serré ses parents dans ses bras à peine une semaine plus tôt, alors qu'eux-mêmes attendaient des nouvelles de leur fille depuis cinq longues années. Comment Garance vivait-elle cette séparation brutale ? L'absence de sa famille et de ses amis ? La brunette ne tarda pas à répondre, précisant que pour elle aussi le départ remontait à la veille et que, de fait, ils ne lui manquaient pas encore plus que cela ; cependant elle imaginait très bien que ça ait pu être long pour eux et avait donc envoyé un message deux jours après son arrivée sur Pandora. Tout comme Saona et Lee l'avaient fait, ensemble, espérant que leurs petits mots pour leur soeur et parents arriveraient à bon port... et qu'une réponse leur parviendrait.

« Un choc ? Peut-être, » sourit-elle. « Mais je suis sûre qu'ils seraient surtout fiers de toi. Fais-moi penser, lors de notre prochaine connexion ensemble, d'apporter mon appareil photo. Je serais ravie de prendre un cliché de toi en Avatar, et tu pourras le leur envoyer en pièce jointe lorsque la prochaine session de messages personnels sera organisée. »

En tout cas, Garance semblait aller bien et l'assura à Leanne en lui disant de vive voix. Rassurée, la pilote hocha la tête d'un air entendu sans se départir de son sourire chaleureux - elle l'emmenait partout avec elle, c'était bien connu. Alors qu'elle terminait son énorme fraise, son apprentie lui posa une question qui ne lui était jamais venue à l'esprit auparavant. En deux ans, on aurait pu croire que Garance avait déjà demandé à Lee pourquoi elle se retrouvait sur Pandora aujourd'hui, et inversement. Mais non. Car bien souvent, ces raisons étaient personnelles. On cherchait à fuir quelqu'un ou quelque chose, ou bien l'on avait un but précis sur cette lune... Leanne elle-même ne savait pas ce qui avait poussé sa protégée à rejoindre l'expédition, elle qui pourtant avait une vie heureuse sur Terre - d'après ce qu'elle avait pu comprendre. Le temps était peut-être venu de se confier...

« Oui, je suis en train de rédiger un livre et c'est aussi pour ça que je prends de nombreuses photos. Au départ je voulais partir sur quelque chose de semblable à mon dernier guide sur les aborigènes d'Australie, mais je crois que ça deviendra vite une encyclopédie vu comme je suis partie ! » rit-elle. « J'ai déjà appris, et je vais encore apprendre énormément de choses ici, du moins je l'espère. Et je souhaite partager cette expérience unique avec ceux qui n'auront pas eu la chance de monter à bord du Fortuna. Mais promets-moi de ne rien dire, je n'en ai encore parlé à personne ou presque... » Leanne esquissa un rictus complice avant d'enchaîner. « Et toi, pourquoi es-tu venue sur Pandora ? Qu'est-ce qui t'attire le plus ici, qu'as-tu le plus envie de découvrir ? »

Lee avait fait exprès de ne pas répondre à toute la question de Garance. Il y avait un côté sombre aux différentes choses qui l'avaient poussées à rejoindre l'expédition, et elle n'avait pas envie d'éclairer son apprentie sur le sujet. Comment lui dire qu'elle ne croyait plus en l'humanité ? Que si elle était restée sur Terre elle aurait probablement fini par rejoindre l'une de ces tribus qu'elle étudiait ? Qu'elle tentait de fuir la noirceur qui habitait les gens ? Certes ici aussi les humains pouvaient être capable de faire le mal, les mercenaires le prouvaient. Mais là-bas, c'était encore pire. Ils kidnappaient, torturaient, violaient et tuaient ; parfois des enfants étaient victimes d'un tel fléau. Oh elle ne pensait pas juste à elle quand ces idées lui venaient à l'esprit, mais par exemple à ces gamins retrouvés dans le terrain vague loué par Max. Lee avait vu de ses propres yeux jusqu'où une personne pouvait aller dans la violence, et se retrouver ici lui permettait de l'oublier, ou au moins de la mettre de côté.
Oui, elle était partie de la Terre pour d'autres raisons, mais aussi parce que tout, sur la planète bleue, la dégoûtait. Elle était en train de mourir, et Leanne n'avait pas envie de mourir avec. Une vision bien pessimiste de la situation actuelle - réaliste, si vous lui demandiez son avis - que la pilote ne pouvait pas partager avec Garance. Pas si son apprentie avait encore une once d'espoir pour la Terre, car alors, les mots de Leanne l'éteindraient aussitôt.

L'air sentait bon les fleurs, et la fraise qu'elle dégustait avait une odeur très forte elle aussi. Garance ne put s'empêcher de remarquer à quel point il était facile de respirer ici. Pas de mauvaises odeurs, du genre déchets ou pollution. L'air était pur, et en inspirant à fond.. elle se dit que même dans les beaux quartiers auxquels elle était habituée, il n'était pas aussi agréable de respirer. Bien sûr, c'était normal. Ici, il n'y avait que de la verdure à perte de vue. Elle savait que l'atmosphère était irrespirable pour les humains, on le lui avait assez souvent répété pendant sa formation, et on le lui avait également dit lorsqu'elle avait atterri sur Pandora. Interdiction de mettre le nez dehors sans son masque à oxygène. L'air pandorien pouvait assommer un individu en quelques secondes, et le tuer en quatre minutes, comme tout les membres de l'expédition le savaient. Mais alors qu'elle pilotait son avatar, il lui semblait qu'il n'y avait pas d'air plus respirable. Dommage qu'il ne soit pas compatible avec l'organisme humain.
Ce n'était pas la seule différence entre la Terre et Pandora. Difficile de passer à coté des arbres monstrueusement grand qui bordait la base de tous les cotés. Et elle avait dans la main la preuve que sur Pandora, tout poussait différemment. La fraise qu'elle dégustait n'avait rien à voir avec une fraise comme on en trouvait dans les épiceries. Même les fruits et les légumes terriens étaient affectés par la formidable atmosphère de cette planète, au point de leur faire atteindre une taille jamais vu auparavant, même avec tous les engrais et les produits chimiques dont les agriculteurs terriens recouvraient leur champs. Et tout cela, de manière très naturelle. Une véritable mine d'or. Et une formidable source d'informations pour Leanne, qui devait se régaler à rédiger son livre, ou son encyclopédie.

" Une encyclopédie en douze volumes alors. " murmura-t-elle en terminant sa fraise.

Elle hocha la tête. Elle avait lu le livre que Leanne avait écrit, dès qu'elle avait été placée sous l'aile de la jeune blonde, afin de mieux comprendre et cerner la pilote. Elle n'avait jamais été tentée par la découverte de peuplade primitive, même si elle avait abordé le sujet des comportements sociaux de certaines cultures aborigènes durant ses études. Elle préférait de loin la modernité, le confort, puisque c'est ce dont elle était habituée. Bien installée dans son petit monde dorée, Garance était bien loin de se douter des atrocités qui pouvaient se passer un peu partout dans le monde. Bien sûr, elle en entendait parler, à la télé, dans les journaux, sur Internet.. mais elle était bien trop jeune pour s'y arrêter vraiment, et de toutes les manières, elle avait bien trop à faire avec ce que les autres lui infligeaient, à cause de sa petite différence. Petite, mais assez conséquente : elle savait réfléchir. Cela peut paraître simpliste, mais si elle avait été mise à l'écart, ignorée, oubliée par ses camarades tout au long de sa scolarité, c'est parce qu'elle était capable d'apprendre, de comprendre. L'intelligence peut être un fardeau, et Garance savait que, si elle en parlait à Leanne, celle-ci comprendrait parfaitement de quoi elle voulait parler. Et de même, si on prenait le temps de lui ouvrir les yeux sur ce qu'était devenu l'homme, elle saurait comprendre pourquoi son mentor avait quitté la Terre, quand bien même les raisons des deux jeunes femmes sur leur venue sur Pandora puissent être différentes.

" C'est une très bonne idée. On pourrait même enseigner aux enfants la culture Na'vi, et leur langue aussi, pourquoi pas. Peut-être même que d'ici quelques années, des générations entières de petites têtes blondes utiliseront ton, ou tes livres, comme manuels scolaires. Et ils demanderont à leurs parents de les emmener sur Pandora pour les vacances de Noël. " plaisanta-t-elle.

Mais après? Après la publication de ses ouvrages sur Pandora, car Garance avait la certitude, rien qu'avec cette première sortie, que Leanne ne se contenterait pas, ne pouvait se contenter, de tout compulser dans un seul livre, que ferait-elle? Leanne avait-elle le projet de retourner sur Terre, profiter de son nouveau succès, avant de retourner étudier les peuples d'Australie ou d'Afrique? Ou bien resterait-elle sur Pandora pour y couler une douce et paisible retraite?
Et soudain, Garance se posa la même question : et elle, qu'allait-elle faire? Après Pandora? Elle se rendit compte qu'elle n'y avait jamais songé, qu'elle ne s'était jamais posé la question, et qu'on ne lui avait jamais posé non plus. Pas une seule fois elle n'avait réfléchi à ce qu'elle pourrait faire, après. Retourner sur Terre serait la solution la plus logique, elle avait sa famille là-bas, et avant de s'engager dans une telle expédition, elle avait dans le vague projet de poursuivre ses études aussi loin que cela lui serait permis. Mais arriverait-elle à partir? Elle allait passer plusieurs années sur Pandora, ce n'était pas un simple voyage de quelques semaines. Repartir serait certainement difficile. Peut-être même impossible, allez savoir. Elle se résolut à en parler à Leanne, quand celle-ci lui demanda ses raisons pour s'être portée volontaire pour l'expédition.

" Oh moi.. Au risque de te décevoir, mes raisons sont bien moins altruistes que les tiennes, je ne suis pas venue afin de faire profiter de mon savoir et de mon expérience à qui que ce soit. Je dois être bien égoïste, car si j'ai décidé de venir sur Pandora, c'était uniquement par défi. Je voulais me prouver, une fois de plus, que je réussirais. Même en ayant entendu parler de Pandora, jamais je n'avais eu envie d'y mettre le pied un jour. Ce n'est que lorsqu'on m'a soufflé que j'y aurais ma place, que je m'y suis intéressé d'un peu plus près, et j'ai fini par mourir d'envie d'en être. Pas par curiosité. Pas parce que j'aime l'aventure. Mais parce que j'aime donner le meilleur de moi-même, pour tout. Et réussir à partir sur Pandora me semblait être un excellent moyen de me surpasser. J'aime trop travailler et me battre pour obtenir quelque chose, et je crois que j'en suis arrivée à un point où je suis prête à relever n'importe quel défi, pourvu qu'il me pousse à dépasser mes limites. J'espère que ce n'est pas grave. " s'inquiéta-t-elle naïvement. " Je suis un peu bizarre, j'en ai conscience. Du coup, je n'avais pas vraiment de but en venant ici. En vérité, je voulais faire partie des psychologues chargés d'encadrer les pilotes et les habitants de la base, je voulais pouvoir étudier leur comportement et leur adaptation dans un tel environnement. C'est la spécialité que j'avais choisie, quand j'ai obtenu ma licence : Étude des comportements humains. Alors quoi de mieux qu'être sur le terrain, pour en apprendre davantage? Et puis on m'a dit que j'étais pilote.. Ca a chamboulé mes plans. Ce n'est que lorsque j'ai vu mon avatar pour la première fois, que j'ai changé d'avis. "

Elle leva la tête, qu'elle avait machinalement baissée en racontant ses raisons personnelles pour être venue sur cette belle planète. Son regard brillait.

" A ce moment-là, j'ai décidé que ce que je voulais le plus apprendre, c'était piloter. Terminé, l'envie d'étudier le comportement chez les autres, je suis devenue mon propre cobaye. " lança-t-elle avec amusement. " Je veux apprendre à vivre ici, sur Pandora. C'est très simple, et je me rends compte que comparé à toi, c'est tellement individualiste de ma part que c'en est presque honteux. Mais je veux apprendre à être une Na'vi."

Le sourire qui flottait sur ses lèvres étaient rêveur, innocent. Elle ne regrettait pas de s'être battue pour venir ici, même si, au début, son seul souhait était de réussir et rien d'autre.

" Tu trouves ça bizarre?" s'enquit-elle, soucieuse de connaitre l'avis de son mentor et amie sur ce qu'elle venait de lui confier.

Car après tout, elle venait de lui dire qu'elle voulait apprendre à ne plus être humaine. C'était peut-être comparable à apprendre les us et coutumes d'un autre peuple, mais cela pouvait quand même paraître bizarre, et Garance ne voulait pas que Leanne la juge. Après tout, elle était, aux yeux de l'apprentie, plus qu'une amie, une soeur, et son avis importait grandement à la jeune fille.

Leanne posa son regard sur la forêt au-delà de la base et du lac. Comme à chaque fois que ses yeux rencontraient les magnifiques arbres et les diverses plantes, elle fut aussitôt captivée par l'immensité de ce lieu. Une encyclopédie en douze volumes ne serait sans doute pas suffisante si Lee voulait décrire le monde de Pandora dans son intégralité. Et elle savait que d'une façon ou d'une autre, ce serait impossible. Cette lune abritait mille et une espèces animales et végétales, certaines dont les humains n'avaient même pas connaissance. Il ne pouvait en être autrement : une expédition de quelques mois ne leur avait pas permis de tout voir et de tout comprendre. Sans compter que seule une poignée de personnes étaient venues dans le but d'apprendre. Les autres ne voyaient que l'argent dont ils pourraient jouir grâce à l'unobtanium. Fort heureusement, et c'était la raison pour laquelle Leanne faisait partie de cette seconde visite sur Pandora, Raven Galloway n'en avait rien à faire de ce caillou. Il avait voulu revenir ici certes pour demander asile aux Na'vis, mais aussi et surtout pour découvrir cette sublime lune. Et la respecter.

Les humains, ces créatures égocentriques, se croyaient bien évidemment supérieurs à tout autre forme de vie existante. Ainsi, ils avaient cru que les autochtones étaient des êtres retardés qui devaient absolument apprendre la notion de « civilisation ». Voilà pourquoi on avait construit une école, afin d'enseigner aux petits Omaticayas la langue Anglaise et la façon de se « tenir en société ». A cette pensée, Lee failli pouffer de rire. Oui, les humains se pensaient au-dessus de tous les autres, et pourtant, n'était-ce pas eux qui avaient fini par détruire la Nature ? L'entité même qui leur avait donné leur premier souffle ? Les Na'vis étaient bien plus intelligents et civilisés qu'eux ne le seraient jamais ! Ca devrait être à ces grands êtres bleus de venir sur Terre pour conseiller ces pauvres humains sur la façon de respecter Mère Nature. Sans compter le fait qu'il était d'ores et déjà trop tard, Leanne ne laisserait jamais une telle chose arriver. S'il avait été encore temps, elle aurait eu envie de sauver la Terre mais aurait supplié pour qu'aucun Na'vi ne fasse ce voyage jusqu'à la Terre. Car ce dernier serait beaucoup trop choqué. Et il n'y survivrait sans doute pas. L'anthropologue, malgré son métier, avait une vision personnelle bien sombre de ses pairs, et bien qu'elle ne se l'explique pas, ils la fascinaient autant qu'ils la dégoûtaient. Ainsi aujourd'hui, elle était bien contente de pouvoir se détourner d'eux, s'éloigner de leurs coutumes et croyances pour se concentrer sur un peuple qui la passionnait vraiment. Depuis son arrivée sur Pandora, elle se sentait revivre.

Garance eut la même pensée que sa mentor, décrivant un futur où les générations à venir de la Terre considéreraient Pandora comme un autre pays : un endroit dont on pouvait apprendre la langue et que l'on pouvait visiter à sa guise. A l'évocation de ses livres utilisés comme manuels scolaires, Lee esquissa un sourire amusé. Si la Nature leur donnait une seconde chance et choisissait de dévier Halley, si la Terre était encore debout dans une centaine d'années, alors oui, Leanne serait ravie qu'un tel avenir se profile. Les avancées technologiques permettraient de réduire encore le temps de voyage, les petits humains se feraient des amis chez les Omaticayas... Un peu comme le principe d'échange qui se faisait encore aujourd'hui, entre les nations. Mais bien sûr, pour qu'ils en arrivent là, il faudrait qu'ils prennent conscience du mal qu'ils faisaient à leur planète. Et qu'ils ne tardent pas à enclencher le processus de guérison. Toutefois, Lee ne pouvait s'empêcher de revenir à cette conclusion : il était déjà trop tard et même si chaque être humain donnait son maximum à partir d'aujourd'hui, ça ne changerait rien.

La planète se meurt et nous sommes son cancer, songea-t-elle alors, citant l'un de ses auteurs favoris. Ce dernier avait existé plusieurs centaines d'années auparavant, et pourtant il avait vu juste. Il savait déjà que les humains tueraient la Terre un jour ou l'autre. Et que, par conséquent, ils s'autodétruiraient aussi, même si cette dernière idée, implacable, n'avait pas encore fait son chemin dans la tête des politiciens.

Oubliant ses bien sombres pensées, Leanne se pencha de nouveau pour cueillir une seconde fraise et mordit dedans. Au même instant, Garance lui expliquait pourquoi elle avait voulu venir sur Pandora. Pourquoi cette expédition l'avait attirée. Elle avoua avoir été plus égoïste que son professeur dans ce choix : elle se retrouvait ici par pur défi. Parce qu'elle aimait pousser toujours plus loin ses limites, se dire qu'elle pouvait faire quelque chose et ensuite foncer afin de se prouver qu'elle avait eu raison. Comment Lee pourrait-elle être déçue ? Tant que Garance n'était pas venue dans le but de détruire Pandora ou lui nuire - ce qui était impossible car personne à la base n'avait ce souhait - toutes les raisons étaient bonnes. Justement, c'était encore plus beau : Garance avait postulé simplement pour se surpasser, et elle se trouvait maintenant sous le charme de cette planète. A un tel point qu'elle conclut en disant vouloir apprendre à être une Na'vi. Ses yeux brillaient, un sourire éclatant étirait ses lèvres. Lee en était certaine, même si elle ne doutait pas des mots de son apprentie. Garance n'en avait que faire de ce défi désormais. Elle voulait profiter pleinement de chaque aventure que lui offirait Pandora.

« Bien sûr que non, » assura Lee lorsque la jeune femme lui demanda si elle trouvait cela étrange. « Au contraire. Tu sais, tu n'es pas la seule dans ce cas. Certains sont venus ici pour fuir quelque chose sur Terre, » - elle se garda bien de préciser faire partie de cette catégorie - « d'autres pour avoir une seconde chance, ailleurs. Nous ne sommes pas tous ici parce que nous étions passionnés par Pandora et rien d'autre. Mais c'est ce qui rend les choses encore plus belles : quand on se rend compte que quelle que soit la raison qui nous a poussés à quitter la Terre, aujourd'hui, un seul et unique souhait nous réunit tous. Celui de découvrir cette lune et ses habitants. Tu pourras chercher autant que tu voudras, je suis certaine que tu ne trouveras pas une seule personne ici qui ne soit pas tombée amoureuse de cet endroit, peu importe ce qui les a menées là en premier lieu. »

Leanne termina son fruit et fit un signe à Garance afin qu'elle la suive. Elle parcourut quelques mètres en suivant le chemin de terre, la petite allée qui séparait les plantations ; et arriva près du portail. Laissant passer sa protégée, elle referma ensuite le jardin. Le terrain de basket était désormais désert mais des éclats de rire provenaient de la maison en bois. Nul doute qu'il serait investi d'ici une poignée de minutes par des Avatars désireux de s'entraîner un minimum en vue d'une mission organisée par Eileen. Si leur chef en mettait une sur pied rapidement. Selon Leanne, ça ne saurait tarder, et elle espérait grandement en faire partie. Mais pour l'heure, il fallait penser à Garance ; si elle obtenait de bons résultats aujourd'hui, Hakim la laisserait sortir plus tôt que prévu et l'anthropologue ne pourrait qu'en être absolument ravie. Elle l'accompagnerait avec plaisir dans la forêt, aux alentours immédiats de la base. Lee guida donc son apprentie vers un immense terrain recouvert d'herbe mais surtout, d'obstacles en tous genres. Ils formaient un long parcours où les Avatars devaient ramper, sauter, grimper, se faufiler, se balancer et tout autre verbe exigeant un mouvement sportif. A mi-chemin, il y avait même un espèce de bassin où la nage était obligatoire pour rejoindre l'autre côté et aller de l'avant afin de finir le fameux parcours. Lee se tourna vers Garance, et remarqua qu'elle observait le terrain avec attention.

« Tu veux donc apprendre à être une Na'vi ? » lui demanda-t-elle, faisant écho à ses propres mots. « C'est là que cette aventure doit commencer. Avant que tu ne puisses quitter la base, il faut que tu puisses faire tout ce parcours en moins de quatre minutes, sachant que les Na'vis eux-mêmes sont sans aucun doute trois fois plus rapides. Mais chaque chose en son temps, » sourit-elle. « Pour aujourd'hui, on va d'abord se concentrer sur chaque effort que les obstacles te demanderont et les faire individuellement. » Elle se dirigea vers ce qui ressemblait à des barres de traction, toutes faites de bois comme le reste du parcours. « On va voir ce que donnent les muscles de tes bras. » Puis elle désigna du doigt un trou qui s'enfonçait dans la terre et qui ressortait quelques mètres plus loin. « Et observer comment tu t'y prends pour ramper. Et ainsi de suite. » Après une petite pause, elle reprit : « Mais comme pour les humains, ton corps d'Avatar, qui n'est pas encore habitué à de tels efforts, doit s'échauffer. Suis mes gestes, on va prendre un petit quart d'heure pour s'assurer que tu es bien prête. Ensuite, on entrera dans le vif du sujet. » Elle eut un sourire complice à l'attention de Garance, puis débuta l'échauffement.

En coulant un regard vers Leanne, Garance s'aperçut que son mentor était tout aussi captivée qu'elle par la foret qui bordait le camp. Ses grands yeux semblaient détailler chaque branches, chaque feuilles, chaque fleurs, même si cela était impossible, et l'air qui s'affichait sur son visage était comparable à celui qu'aurait eu une mère envers son enfant après que celui-ci ait prononcé son premier mot, ou le regard qu'aurait une femme envers l'homme qu'elle aime et qu'elle contemplerait de loin. Tout son être transpirait l'adoration, l'amour profond qu'elle portait envers cette magnifique lune. Pandora. Pourquoi un tel nom? Si la boite de Pandore renfermait vraiment tous les maux de la Terre, et que l'ouvrir condamnait l'humanité à une grande peine, n'y avait-il pas également, au fond de cette boite, écrasée par les péchés et les malheurs, ce sentiment appelé Espoir? Et si Pandora portait ce nom en référence à cet espoir? L'espoir qu'il existe un monde meilleur, l'espoir que l'humanité ait droit à une seconde chance. L'espoir que nous soyons tous lavés de nos péchés, et promis à une seconde vie. Serions-nous vraiment bonifiés par l'expérience tragique que connaissait la Terre? L'avenir des humains se profilait tout doucement, et il était loin d'être agréable. Pandora offrait une promesse d'avenir.. mais pas pour tout le monde.
Il était impensable que l'on puisse recommencer ce qui s'était produit sur Terre. Garance eut une pensée pour ses parents, qui après son départ avait décidé de partir dans leur maison de vacances, à la montagne, loin, très loin de la ville et de la pollution. Mais Garance savait, pour y avoir passé de nombreux étés, que cette jolie demeure autrefois perdue en pleine nature, n'était plus tout à fait isolée. De nouvelles routes, de nouveaux commerces, un nombre d'habitants grandissant. Bientôt, ce petit coin de verdure calme et ensoleillé, duquel on pouvait apercevoir les étoiles, serait très certainement envahi par la population. La jeune pilote ne pouvait imaginer qu'une telle chose se reproduise ici, sur une terre totalement vierge. L'homme avait tenté de poser sa griffe sur Pandora, et cela avait une première fois échoué. Cette fois-ci, les choses étaient différentes.. mais pour combien de temps? Si la Terre devenait totalement invivable pour les humains, est-ce que le gouvernement n'allait pas décider d'exiler les hommes sur Pandora? Après tout, la Terre pouvait bien mourir, du moment qu'on avait un nouveau terrain de jeu pour recommencer les mêmes erreurs.. Le coeur de Garance rata un battement, et elle releva brusquement la tête, inspirant à fond comme pour se donner du courage. Il était impensable qu'une telle chose se produise.

Garance eut l'impression que tous les gens désireux de sauvegarder Pandora s'était réfugiés dans la base, et d'après Leanne, il n'y avait ici que des personnes qui aimaient cette planète, d'un amour inconditionnel. Mais qu'en était-il de ceux restés sur Terre..?

Sans dire quoi que ce soit, l'apprentie suivit son mentor sur un petit chemin de terre et franchit un portail séparant les jardins du terrain de basket, qu'elles traversèrent, Leanne d'un bon pas, Garance avec une certaine prudence, craignant que des jambes ne lui fassent à nouveau défaut. Lorsqu'elles arrivèrent sur une espèce de terrain d'entraînement, parsemé d'obstacles en tout genre, la jeune pilote écarquilla un peu les yeux. Leanne lui expliqua en quoi consistait cette épreuve, lui précisant que puisque c'était sa première fois, elles allaient y aller en douceur, ce que Garance apprécia. Elle n'était pas totalement sûre de réussir le parcours sans rencontrer "d'obstacles" durant sa course. Mais elle se promit de s'entraîner très dur pour y arriver, et fixa un regard volontaire sur la première épreuve, celle qui consistait à tester les muscles de ses bras.

" D'accord! " lança-t-elle d'un ton décidé.

Elle imita soigneusement Leanne qui lui montrait comment s'échauffer -mais pourquoi n'avait-elle jamais porté plus d'attention aux cours d'éducation physique de son adolescence?-, et peu à peu, sentit son corps devenir plus souple à mesure qu'elle s'étirait. Elle testa chaque muscles de son corps, s'assurant de s'être bien échauffée afin de ne pas risquer de se blesser -il ne manquerait plus que ça!

" Je suis prête. " déclara-t-elle au bout de l'échauffement qui avait, au final, duré une demi-heure. Prudence est Mère de Sûreté.

Elle s'avança vers les barres de traction, les jaugeant d'un regard à la fois douteux et plein de défi. Sautillant légèrement sur place, elle inspira à fond deux ou trois fois, puis se propulsa en l'air. Ses deux mains agrippèrent la barre, ses longs doigts s'y enroulant. Elle resta suspendue quelques secondes, reprit une grande bouffée d'air, puis contracta ses muscles afin de soulever son corps à la verticale. L'effort lui fit fermer les yeux. Jamais elle n'aurait cru que ce serait si difficile! Ses muscles protestèrent, elle sentit ses bras qui tiraient, mais son corps restait à la même place, un poids mort au bout de ses bras. Elle tenta alors une nouvelle approche, en sentant que ses bras allaient bientôt lâcher. Faisant légèrement osciller ses jambes, elle se servit du mouvement de son corps pour contrebalancer son poids, et ainsi se hisser plus facilement. Mais cela ne fut qu'à peine plus efficace, et ce n'est qu'au bout d'un demi misérable centimètres qu'elle dut lâcher prise, et elle se laissa retomber au sol. Au moins, ses jambes firent leur travail, elle se réceptionna sans mal, au lieu de s'écraser comme elle l'avait fait plus tôt. Elle ne se serait pas fait mal, vu qu'elle n'était qu'à 20 cm du sol, mais avec ce nouveau corps, elle s'attendait à tout, du bon, comme du mauvais.

Elle se retourna vers Leanne, un peu honteuse.

" Je n'y arrive pas. Même avec mon corps d'humaine, je n'y serais pas arrivée. C'est bien trop dur pour mes petits bras. " lança-t-elle avec une grimace. " Je ne suis pas prête de sortir de la base, à ce rythme là. "

Elle contempla les barres de traction avec dépit.

Trente minutes à mettre ses muscles en place était le minimum pour un apprenti pilote. Si les membres comme Hakim ou encore Leanne n'avaient désormais plus besoin de s'échauffer avant de se lancer, un jeune ne possédait pas encore son enveloppe bleue comme il maniait son corps humain. Il était donc nécessaire de faire des exercices afin de le remettre dans le bain, en somme. De lui réapprendre à « commander » correctement son Avatar. Sans compter que ce dernier était plutôt faible, n'ayant pas eu l'occasion de se défouler de nombreuses fois depuis sa sortie de « l'aquarium » - comme Lee aimait à appeler ce tube où les Avatars en formation grandissaient durant le voyage. Ainsi, la blondinette surveillait de près le moindre geste de Garance, sa petite protégée. Son regard se posa un instant sur son genou écorché alors qu'elles travaillaient leurs jambes. Tout semblait bien fonctionner, la blessure n'était vraiment que superficielle et ne gênerait même pas Garance dans son entraînement. Quel pilote, alors qu'il était connecté à son Avatar pour la première fois, n'avait pas eu ce genre de choses ? Tous s'étaient étalés par terre, même Eileen - Leanne ne l'avait pas vu, mais en restait persuadée. On ne pouvait pas exceller au pilotage dès la première seconde, c'était tout simplement impossible. Ce serait comme... n'avoir jamais calé durant son apprentissage en conduite.

Garance imita tous les gestes de Lee durant une demi-heure et lorsque cette dernière jugea que tout était bon, elle l'indiqua à son apprentie. Désormais, il était temps de commencer les choses sérieuses. La jeune française notifia qu'elle était prête, et Lee lui montra les barres de traction juste à côté. Elle la faisait débuter par le plus difficile, mais c'était voulu. Leanne savait que Garance raterait cet exercice aujourd'hui, comme un ou deux autres obstacles se trouvant sur la piste. Là encore, rien de plus normal. Mais comme Lee ne voulait pas que cet entraînement se finisse sur une mauvaise note pour Garance, elle préférait partir du plus dur au plus facile. Comme ça, sa protégée garderait plus aisément en mémoire ses réussites et mettrait peut-être de côté ses échecs. Echecs qui, rappelons-le toutefois, ne le resteraient sans doute pas très longtemps.
Les bras croisés sur sa poitrine, Leanne observa la brunette ; elle tentait de se soulever grâce à la force - encore peu développée - de ses bras. Elle ne bougea que de quelques centimètres avant de lâcher la barre, essoufflée, et s'exclama d'un ton déçu qu'elle ne serait pas prête de sortir de la base. Lee esquissa un sourire rassurant et se rapprocha de l'apprentie. Elle avait tout à fait prévu ce genre de réaction et savait exactement de quelle manière la rassurer.

« Tu me rappelles... moi, » dit-elle en riant. « Lors de mon premier entraînement, je n'y suis pas arrivée non plus. Il faut que tu prennes conscience que ton corps d'Avatar est encore jeune. Il est entièrement formé certes, mais ses muscles sont un peu comme ceux d'un enfant. Ou d'un adulte qui ne connaîtrait pas le sport. Tu dois y aller progressivement. Je m'attendais à ce que tu ne réussisses pas cet exercice, aucun pilote n'a pu le passer avec brio lors de sa toute première connexion ! Et tu trouveras encore quelques obstacles difficiles voire impossibles à franchir pour le moment, mais rassure-toi, ça viendra très vite. » Elle conclut avec un clin d'oeil, puis ajouta finalement : « Tu as ma promesse que tu fouleras cette forêt, là-bas, plus tôt que tu ne l'imagines. Allez viens, on continue ! »

La leçon était retenue. Leanne avait tout bonnement voulu que Garance se mette en tête qu'elle ne brillerait pas aujourd'hui : et cette histoire de tractions avait été une bonne manière de le lui prouver. Lee connaissait bien la jeune femme : elle voulait toujours se lancer des défis, faire son maximum, et ne supportait pas de ne pas réussir ce qu'elle entreprenait. Ainsi, Leanne avait souhaité lui faire comprendre que ce qu'elle raterait dans les jours à venir ne serait pas réellement des échecs, que cela ferait partie de son apprentissage et que tous les pilotes étaient passés par là aussi.

Lee donna quelques indications et laissa Garance entamer le parcours à proprement parler. Long et fastidieux, les pilotes les plus doués le franchissaient en deux temps trois mouvements. Chacun voulait être le meilleur, et pour l'instant, c'était Eileen qui tenait le record. Garance ne serait pas chronométrée aujourd'hui. Leanne lui expliqua qu'elle ne devait pas se précipiter, qu'avant de penser à la vitesse, elle devait apprendre à reconnaître les obstacles et se mettre le parcours bien en tête. Une sorte de tour de chauffe, comme les cavaliers qui faisaient le chemin à pied avant la compétition. Sauf que là, ce fameux tour serait répété durant plusieurs jours avant que l'apprentie pilote ne se lance réellement. Il en allait de sa sécurité et du bien-être de son grand corps bleu.

L'entraînement dura presque trois heures, puis il fut temps de rentrer. Avant que les deux pilotes ne retournent dans leur corps d'origine, Lee proposa un petit basket à Garance en compagnie de son supérieur et ami, Hakim Barrera - qui était de retour sur le terrain. Ils restèrent là une quarantaine de minutes et se dirigèrent ensuite tous les trois vers la cabane, avant de s'allonger sur leurs paillasses. Garance semblait nerveuse et Leanne la comprenait : elle n'avait pas envie de quitter son Avatar, elle s'y sentait bien. D'un regard, elle la rassura immédiatement, et lui rappela qu'elle serait de retour ici dès demain.

Lorsqu'il fut temps pour Lee d'aller se coucher, elle s'allongea sur son matelas et esquissa un sourire satisfait. Sa journée avait été des plus excellentes, et elle était fière du travail accompli par son apprentie. Elle n'avait pas eu tort de lui promettre une sortie très bientôt : elle se débrouillait très bien et il ne faisait aucun doute que dans peu de temps, elle serait capable de faire tout le parcours dans la moyenne. Peut-être même battrait-elle certains pilotes plus expérimentés, au final. Oui, Leanne s'endormit avec une terrible hâte d'être au lendemain, et de partager à nouveau ces inoubliables instants en compagnie de sa petite protégée.

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