Il s'avança vers ce qui lui servait de lit, cette sorte de feuille sèche qui l'accueillait chaque soir pour son repos. La petite fille sourit, elle savait qu'il s'agissait de son oncle, alors qu'elle ne pouvait le distinguer. Kri'shtar s'installa tranquillement et jeta un œil à sa nièce, attendri.

« Raconte-moi ton histoire, Kri'shtar, je veux l'entendre ! » le pressa-t-elle.
« Tu la connais par cœur... tu es sûre que tu veux l'écouter une fois de plus ? » demanda-t-il, sachant pourtant ce qu'elle allait lui répondre.
« Oui oui ! Raconte-moi... »

Un sourire aux lèvres, le jeune guerrier s'installa, les deux mains derrière la tête et les jambes étendues et croisées. Il regarda une nouvelle fois Nouïra, puis ferma les yeux, tout comme elle.

« Lorsque je suis arrivé sur Pandora, une sœur m'attendait. Elle s'appelait Sorya'ii. Sa mère, Kali'tar, était douce et aimante. Elle était aussi d'une grande bonté et d'une sagesse dévorante. Quant à son père, le chef des chasseurs du peuple Omaticaya, il n'avait d'yeux que pour elle. Mais je vins perturber toute cette sérénité lorsque je vis le jour. J'étais promis, comme ma sœur, à un grand avenir. Simplement, nous ne savions pas encore lequel.
Ma mère m'enseigna les plus grandes valeurs de la population Na'vi et plus particulièrement celles de notre peuple. Elle fut à mes côtés pour m'encourager, me soutenir. Mon père, plus dur, tentait de me mener à la baguette afin de faire de moi son successeur. Il était exigeant, mais d'une rigueur et d'une droiture que personne n'aurait pu égaler. Quant à ma sœur, elle voyait en moi un grand potentiel, mais pas celui auquel mes parents me destinaient. J'étais trop fougueux, trop fanfaron pour devenir le chef des chasseurs un jour. Elle avait vu tout de suite en moi, et pensait que je ne serais pas celui qui parviendrait à les guider. Elle n'avait jamais pensé cela méchamment, mais imaginait quelque chose de moins contraignant, pour moi.
Elle et moi, nous étions très proches, et pourtant si différents. Elle était d'un tempérament calme, j'étais fougueux. Elle était réfléchie, j'étais impulsif. C'était sans nul doute nos différences qui nous rapprochaient. »

Nouïra sourit, imaginant parfaitement sa mère comme la décrivait son oncle.

« Vint alors l'âge où elle dut passer ce fameux rite de passage. Toutefois, elle le refusa. Elle ne voulait pas d'un Ikran et décida plutôt de nouer un lien avec un Pa'li, qui se nommait Tsawke. Elle en était très fière. Plus attirée par l'esprit d'Eywa et tout ce qu'elle nous transmettait, Sorya'ii restait bien trop sage pour son âge. Elle était en communion parfaite avec l'esprit de notre peuple et se faisait de plus en plus rare parmi nous, passant son temps à communiquer. Quand vint mon tour, cependant, je ne pus qu'une fois de plus m'opposer à ma sœur. Mon épreuve du lien à mon Ikran ne se passa pas sans quelques frayeurs, mais je parvins à dompter ce fameux Tux'niran. Lorsqu'il fut mien, je me sentis un homme, plus fort et plus sûr de moi. Ma grande sœur découvrit alors que ma voie était toute tracée, et que je suivrais le chemin de mon père. J'étais fait pour la chasse, et le combat, j'avais ça dans les veines, dans le corps, dans l'esprit. Je n'étais pas un guide, j'étais un dirigeant. Bien trop fougueux pour mener tout un peuple, je devais canaliser mon énergie pour m'en servir au mieux. Mon exigence était un atout parfait pour devenir celui qui commanderait les chasseurs. Toutefois, il était encore bien trop tôt pour cela, et j'avais tout le temps d'apprendre ce que je devais savoir. Du moins, je l'avais imaginé à cette époque-là. »

Le Na'vi ouvrit les yeux un instant et vit le visage de son père se présenter à lui. Il lui sourit, nostalgique, avant de poursuivre son histoire.

« Le sort en avait décidé autrement. Txur'itan périt des pattes d'un animal qui ne lui laissa aucune chance. Celui dont on n'échappe que très rarement, tant sa masse, son intelligence et sa vitesse sont difficiles à contrer. Un Toruk. Le chef des chasseurs disparut, et une tristesse immense s'empara du peuple Na'vi. Il fallait dès lors trouver un nouveau chef pour les chasseurs, et c'est naturellement que je demandai à ce que cette place me revienne, cherchant à honorer la mémoire de mon père. »

Kri'shtar marqua une pause et la petite fille ouvrit les yeux, impatiente.

« Continue, oncle Kri'shtar, continue ! »

Ce dernier, amusé, sourit et poursuivit.

« Le chef des Omaticayas hésita à me donner cette responsabilité. J'étais encore jeune, et je devais considérablement manquer d'expérience. Mais j'avais été à la meilleure école qui soit : celle des récits d'un père à son fils. Aussi, l'Olo'eyktan m'honora de cette tâche et je devins le chef des chasseurs, succédant à mon père, et fier comme un paon. Alak'tul, le fils du chef de clan, se rapprocha alors de moi, et c'est ainsi que nous devînmes amis, tandis que ma sœur faisait également sa connaissance.
Quelques temps plus tard, et tandis que j'avais largement fait mes preuves en tant que chef des chasseurs, l'Olo'eyktan mourut à son tour. Le clan fut à nouveau ébranlé, et c'est son fils, mon ami, qui reprit la succession. A ses côtés, la nouvelle Tsahik, ma sœur, allait amener paix et sérénité au clan.
Bientôt, le couple de leaders attendit famille, pour le plus grand bonheur de tous les Omaticayas, le mien bien plus encore que tous les autres. Mais une ombre vint gâcher le tableau idyllique. Cette petite fille qui apporta bonheur et joie, était atteinte d'une maladie qui l'empêchait de voir. Cela, toutefois, ne l'empêchait pas d'être la plus adorable des enfants, et elle combla de bonheur tous ceux qui l'entouraient. »

Ce que ne dit pas Kri'shtar, c'était que sa mère s'était alors éloignée d'elle sans même s'en rendre compte, priant Eywa pour que sa fille recouvre la vue tandis qu'elle avait plutôt besoin d'une mère à ses côtés. Un sujet douloureux et tabou entre le frère et la sœur. Toutefois, cette vérité allait très bientôt être sortie, il le savait. Il ne pourrait laisser sa nièce souffrir de l'absence de sa mère plus longtemps.

« Je devins une nounou à temps partiel ! » dit-il en riant pour faire sourire la petite fille, qui éclata de rire.

« Et me voilà, aujourd'hui, toujours chef des chasseurs, à courir après des petits bonshommes roses qui viennent perturber notre sérénité. Mais cela c'est une autre histoire, et il est largement temps de dormir ! »

Après quelques bouderies de la part de la petite fille, elle finit par s'endormir. Kri'shtar continua à l'observer quelques instants, avant de replier sa feuille pour sombrer dans le sommeil. Ses rêves seraient sûrement teintés d'humains, et de chasseurs les surveillant de près afin de connaitre leurs réelles intentions. Le travail du grand Na'vi ne faisait que commencer.
Peut-être bien, également, qu'une certaine La'thanì serait également de la partie.

Sa première réaction lorsqu'ils apprirent que des marcheurs de rêve foulaient à nouveau leur terre fut de prendre très mal la nouvelle. Bien sûr, comme tout un chacun, il sait que l'homme peut faire autant de bien qu'il ne peut faire de mal. Le chef même des Omaticayas en est la preuve vivante. Toutefois, ils ne leur fait pas du tout confiance et pense foncièrement que les hommes sont incapables de se contrôler et de résister à la tentation. Pandora est manifestement pour eux une terre de tentations extrêmes, et il pense qu'ils finiront un jour ou l'autre par détruire à nouveau cet endroit qui est le sien.
Toutefois, la rencontre avec ce RavenGalloway a changé quelque peu la donne.
A présent, les Na'vis savent qu'il existe deux groupes distincts d'hommes sur Pandora : les mercenaires, envers lesquels Kri'shtar n'a aucune confiance, et les membres de l'expédition du diplomate. Le guerrier ne sait que penser de ce second groupe. Toujours méfiant envers eux, il préférait les voir partir. Mais à choisir, il les préfère eux aux mercenaires. Que sa sœur ait pensé à l'envoyer en surveillance lui plait particulièrement : ainsi, il se sent en mesure de parer à toute éventualité et à protéger son peuple.
Toutefois, le Na'vi n'est pas idiot, et il sait, grâce à l'histoire, que contre les machines de l'homme, il ne peut rien. Il est donc partisan de se mettre en allié au groupe de l'expédition afin d'être prêt si les mercenaires venaient à attaquer Pandora.