« Écoute Lloyd, je fais mon possible pour vous avoir une vie des plus respectables à toi, ta sœur et à ta mère... alors tu me dois beaucoup... tu seras médecin et rien d'autre ! »

Ces paroles, Lloyd Bradford les avait entendu le jour de son seizième anniversaire alors que sa sœur cadette, de 3 ans son aînée : Julia, se trouvait à ses côtés. Que dire dans une telle situation ? Rien. On baisse la tête et on attend que l'orage passe. Le jeune homme avait exposé ses idées sur son devenir. Il voulait être pilote. En fait, il ne savait pas très bien ce qu'il voulait faire de sa vie, mais pilote ça lui plaisait. En même temps, quel garçon n'a jamais rêvé devenir pilote, au moins une fois dans sa vie. Lloyd, lui, voulait en faire son métier. Mais son père, John Bradford, qui était un médecin de renom, voulait que tout aille dans son sens, et dans ce cas là, c'était bien ce qu'il fallait dire. Il voulait voir son fils devenir médecin, tout comme lui. Lloyd ne le voulait pas. Il voyait son père rentrer à des heures tardives, chaque soir, il ne voyait aucun de ses matches de baseball, etc.. Il ne voulait pas devenir le père qu'il avait lui-même. Il n'avait pas envie de vivre une vie de jeune homme rangé, marié à 24 ans. Non, ce n'était pas pour lui. Pourtant, le début de sa courte vie était toute tracée, du moins pour son père. A sa naissance, son paternel était tout fier et n'était dans le métier depuis quelques années seulement, il n'avait même pas trente ans. Durant les trois premières années, il fut un père présent et protecteur mais arrivé à l'âge où le petit garçon savait marcher et parler, tout a changé. John voulait faire de son fils un homme de réussite, comme il l'était lui. Il planifiait tout pour son fils, dans quelles écoles il allait étudier. Et sa femme dans tout cela ? Martha Bradford ne disait rien et approuvait d'un signe de tête, résignée. A vrai dire, elle s'était toujours comportée ainsi. En tant que bonne épouse, elle devait le respect à son mari, donc ne jamais le contredire et approuver tout ce qu'il disait.



L'enfance fut donc assez difficile pour le jeune garçon qui entendait très souvent voire tous les jours ce qu'il allait devenir. Plus le temps passait et plus il voyait son père comme un tyran. Avant ses douze ans, il se taisait et n'osait se rebiffer sous peine de privation de dîner. Mais passé cet âge, il osait lever les yeux vers son père pour dire non. Bien sûr, il rebaissait très souvent les yeux, une main sur la joue rouge et douloureuse avant d'aller se coucher, mais au moins cette envie de se rebeller était assouvie, pour cette soirée là. Revenons-en aux seize ans du jeune homme. Son père, en colère, lui avait répété une énième fois ce qu'il voulait de son fils, son devenir. Lloyd avait levé les yeux au ciel et partit dans sa chambre, un peu trop énervé pour rester de marbre devant son père. Celui-ci n'avait jamais cessé de le rabaisser dans sa jeunesse. Lorsqu'il avait appris qu'il s'écroulait à la vue du sang, il a eu honte de son fils, oui honte. S'évanouir à la vue du sang, ce n'est rien mais le docteur Brandford, c'était la catastrophe. Il avait payé des séances de thérapie et au bout de quelques mois, on en parlait plus. Mais cette réussite ne lui donnait toujours pas l'envie de suivre les traces de son père qui ne voulait que son bien, c'est ce qu'il lui disait en tout cas.

Malgré cela, une fois le bac en poche, il entra à l'université et entama la première année de médecine. Il n'avait pas vraiment de difficultés, il aimait bien la biologie et les sciences en général mais le moral n'y était pas. Et quand la motivation n'est pas présente, comment bien travailler ? A sa grande surprise, il passa en seconde année et très vite les stages en hôpital s'enchaînèrent. Mais il travaillait comme une machine. Un point de suture dans la salle 4, un lavage d'estomac dans la salle 1. Les tâches se suivaient et se ressemblaient. Mais à la fin de sa seconde année d'étude, il reçut un prix. On le récompensait pour sa grande implication dans la profession d'interne. Ses supérieurs le trouvait impliqué, consciencieux, motivé. Lloyd aurait voulu rire mais après plusieurs jours de médiation, cela lui plaisait. Il était reconnu pour son travail, cela voulait dire qu'il était plutôt bon non ? Motivé comme jamais, il poursuivi ses études avec brio. Malheureusement, il avait pris la grosse tête et l'arrogance faisait partie de son quotidien. Se croyant meilleur que ses collègues, il n'hésitait pas à raconter ses exploits en bloc opératoire... Mais il était loin de se douter que tout cela pouvait changer en une fraction de seconde.



« Docteur Bradford ? Docteur ?? C'est fini... On ne peut plus rien faire... Je prononce l'heure du décès... 16h25. »

Un long bip s'échappait du moniteur branché aux électrodes posées sur la poitrine d'un jeune garçon. Lloyd avait les mains teintées de sang et les yeux emplis de larmes. Comment avait-il pu ne pas sauver ce garçon ? Il ferma les yeux quelques secondes, histoire de faire couler les larmes retenues prisonnières de ses paupières. La gorges nouée, il lâcha le petit garçon qui venait de rendre l'âme dans ses bras. Ecoeuré, révolté, il savait qu'il ne serait plus pareil après un tel événement, après une telle année. Pour nonchalance et sa désinvolture, on l'avait envoyé sur le terrain. Malheureusement, il fit partie des malchanceux qui allèrent dans une zone où la guerre faisait rage. Pas encore conscient de ce qui allait lui arriver, il y alla sans rechigner. Le premier jour fut difficile. Aussitôt arrivé, on lui demanda d'amputer un soldat d'à peine vingt ans. Il en vit des horreurs mais les pires étaient à venir : les civils. Il ne faut pas oublier que dans une guerre, généralement les plus touchés sont les civils. Et dans le cas de Lloyd, ce fut le cas. Tous les jours, il voyaient des femmes, des hommes et des enfants venir sous sa tente, hurlant, demandant s'il pouvait soigner un membre de leur famille. Rien que cela était traumatisant. Alors un enfant qui mourrait dans vos bras. La mort du jeune garçon provoqua chez lui, une perte de raison momentanée. Ses collègues l'isolèrent dans une tente fermée le temps qu'il reprenne ses esprits. Après dix minutes, on lui demanda d'y retourner, mais c'était fini, il voulait rentré. Malheureusement, c'est après deux mois que son vœu fut exaucé. Le teint blême, les traits tirés, ses proches ne reconnurent pas Lloyd qui avait alors un peu plus de 30 ans. Oui, la guerre ça change un homme. Durant des mois, il ne rêvait que de guerre. Les films à la télévision le révulsait. Il avait repris le travail mais avait du arrêter après un mois, se fatigant trop vite. Il entendit alors parler de l'expédition Pandora qui est une occasion en or, pour lui, de refaire surface, de se refaire une nouvelle vie du moins il l'espère.

Participer à l'expédition était pour lui, au début, une contrainte, une chose qu'il se forçait à lui même. Mais après quelques jours de réflexion, cela est devenu un objectif,une chose inévitable. Ayant passé quelques années de sa vie comme chirurgien dans l'armée, il a vu beaucoup d'horreurs, et même trop. Un évènement en particulier lui a fait perdre la raison l'espace d'un court instant. Un enfant, un innocent petit garçon est mort dans ses bras alors qu'autour de lui, tout grondait, son supérieur et le bruit des bombes qui pleuvaient. Ce moment resterait gravé en lui pendant le reste de sa vie et c'est pour cela qu'il a décidé de postuler pour cette expédition, cet exutoire. Voulant tourner la page, Lloyd est persuadé que cette expédition lui fera oublier la misère qu'a vécu son esprit pendant ces années de soins auprès des blessés de la guerre. Voir un monde nouveau, meilleur, magnifique, voila pour quoi il s'embarque. Sa faiblesse psychologique il l'a met de côté et positive, il arrivera à prendre le dessus, il en est persuadé, mais perdre un patient ou un ami là-bas serait fatal pour lui.

Lloyd avait postulé pour l'expédition avec peu de positivisme. Avec tout ce qu'il avait enduré, il pensait que les responsables ne voudraient pas d'un pauvre homme presque dépressif intégrer les rangs des chanceux qui partiront pour Pandora. Mais la réponse arriva après de longues jours d'attente et le jeune Bradford eut le souffle coupé lorsqu'il vit que cette réponse était... positive. Fier de lui, il se promit d'aller au-delà de ses limites, au-delà de lui-même. On lui demandait de se rendre au Texas dans une base aéro-navale de la prestigieuse NASA. Voulant à tout prix rejoindre ce monde nouveau, il potassa des heures entières sur le monde des Na'vi. Il était fasciné par cette hiérarchie, cette langue, cette culture, c'était beau à apprendre.
Vint le moment d'aller à cette fameuse base de la NASA. Les tests ne furent pas trop difficiles, on lui demanda de remplir un questionnaire de 200 questions. Certaines portaient sur la culture des Na'vi, d'autres sur la géographie de Pandora. Bien sûr, le chirurgien ne put répondre à tout faute de temps et de savoir, mais il connaissait la majorité des choses à savoir en priorité sur Pandora. Il passa ensuite un test physique, pas vraiment désagréable et on le congédia.

L'attente... Cette attende fut longue, trop longue. Un peu plus d'un an passa quand on divulgua les noms des candidats retenus. Durant cette attente, le jeune homme avait prévenu ses parents et sa jeune sœur, Julia. Envieuse, celle-ci espérait pourtant qu'il intègre les candidats reçus. Quant à ses parents, c'était mitigé. Sa mère acceptait sans rien dire, quant à son père, c'était tout autrement différent. Pour lui, Lloyd devait rester en Amérique, ou ailleurs dans le monde, à soigner des malades, des blessés. Mais on ne lui dictait pas ce qu'il devait faire, non, pas après ce qu'il avait enduré.
La réponse arriva donc. Encore positive. A ce moment précis, Lloyd ne savait pas s'il devait être heureux ou non. Il ne pouvait pas faire marche arrière. Allait-il s'y plaire ? Allait-il s'adapter. Il était trop tard. Il devait déjà s'envoler pour la Guyane pour deux ans de formation. C'était l'heure des adieux. Adieux difficiles pour le jeune homme. Julia pleurait à chaudes larmes, sa mère aussi. Son père ne bronchait pas, ne disait un mot. Mais Lloyd ne put s'empêcher de verser une larme. Il aimait son père mais il le lui rendait mal, voilà d'où venaient ses larmes.

Deux ans d'apprentissage qui furent un bonheur pour le jeune Bradford. Il était loin des hôpitaux, loin des blessés. Il apprenait la langue des Na'vi, il apprit comment se comporter lorsqu'on est en apesanteur. Ce fut un apprentissage intéressant et plein de souvenirs, et il était déjà temps de partir pour Pandora. Il était un peu moins de 400 à embarquer dans le Fortuna, un peu moins de 400 à entrer dans un caisson d'hibernation. Ce moment fut un peu angoissant pour Lloyd mais il pensait surtout à l'après. L'enthousiasme mêlé à l'appréhension, l'américain entra dans ce caisson où il resta un peu moins de cinq ans. Il était arrivé, enfin. Un nouveau départ sonnait pour le chirurgien.

L'adaptation fut un peu difficile au tout début, mais on vivait sur Pandora, comme on pourrait vivre sur Terre. Assez libre de leurs mouvements, les physiciens, médecins, militaires, allaient et venaient dans la base, se fréquentaient, une vraie ville ! De plus, l'environnement était magnifique, oui c'était le mot. Lloyd savait, sentait que cet endroit allait lui permettre d'oublier toutes les horreurs qu'il avait pu voir.