Les couloirs du vaste complexe étaient encore silencieux lorsque Hadrian se tira de ses draps. Quand, le regard encore embrumé par le peu de sommeil accumulé dans la nuit, il avait consulté sa montre qui, alors, avait tristement affiché trois heures - du matin, bien entendu, le russe avait lâché un grognement, pareil à celui d'un monstre que l'on aurait dérangé dans sa tanière. Parce qu'il était noctambule, il lui était tout simplement pénible de n'avoir arraché qu'une heure ou deux à Morphée quand une mission l'attendait le lendemain. Aussi, lorsqu'il s'extirpa de sa chambre, sa démarche, si elle s'avérait certaine, demeurait nonchalante, presque lasse. L'humeur du capitaine Kozlov était morose ce matin et, plutôt que d'en faire injustement profiter les rares membres de l'expédition qu'il aurait pu croiser dans les parties communes, il se fraya un habile et solitaire chemin jusqu'à l'armurerie.
Patient, il passa les sécurités et s'engagea dans la salle. « A nous deux, lâcha-t-il avec sa première note d'entrain depuis son réveil. » S'assurer du bon fonctionnement du matériel était l'une de ses prérogatives et, d'ailleurs, Hadrian n'envisageait pas la moindre sortie sans avoir préalablement, et surtout lui-même, vérifié son équipement et celui de ses partenaires. Avec, en outre, Delta Blackwell en chef de file, toute la rigueur du monde était de mise. Ainsi prit-il une bonne heure pour rôder chaque élément, depuis les fusils d'assaut jusqu'aux armes de poings (tous pacifistes qu'ils devaient être à l'égard des Na'vis, il était bel et bien des dangers devant lesquels mieux valait répondre avec des balles qu'avec des mots).

Le temps qu'il en finisse, la belle Arielle avait fait son entrée. « Où pars-tu comme ça, surarmé ? » Fronçant légèrement les sourcils, Hadrian répertoria mentalement l'ensemble des équipements ; fusils, pistolets, couteaux, explosifs, gaz. Encore qu'il ne trouva pas cela superflu, le russe accusa le coup d'un sourire, et d'une plaisanterie. « Un plan à quatre... avec Blackwell. » Elle lui décocha un sourire sans tendresse, avec une relative froideur qui remonta dans la nuque d'Hadrian ; s'il avait, un jour, cherché à saisir la complicité... spécifique qui le liait à Arielle, il n'aurait eu qu'à se fier à ces petits détails que, d'habitude, il ne manquait pas - ou plutôt, qu'il ne voulait pas manquer.
Quoi qu'il en fût, elle le pressa vers la sortie quand il fût bientôt l'heure du départ.

Par trois fois, Hadrian vérifia la sécurité des armes accrochées à sa ceinture. Il n'y a pas trois jours de cela, une manœuvre malhabile en la compagnie d'Andrea lui avait coûté un départ de feu qui aurait pu lui causer de graves séquelles physiques. Par une chance presque providentielle, personne n'avait rien eu mais, depuis lors, sa vigilance redoublait à, parfois, en frôler la paranoïa. Heureusement pour lui, ses deux compagnons, Max Willsdorff et Craig Emerson, le rejoignirent bientôt de sorte qu'il eut autre chose à penser que... lui-même. Ils étaient tous les deux consciencieux et compétents, aussi les dispensa-t-il du briefing habituel. De toute façon, Delta les rejoignit bientôt, de sorte qu'ils furent tous, et sans exception, soumis à ses propres recommandations. Doucement, Hadrian se mit à ricaner. « Pas de cueillette pour aujourd'hui, alors ?... Emerson devrait parvenir à se contenir. N'est-ce pas, Craig ? » Amusé, le russe réprima cependant son sourire d'un toussotement des plus sérieux, de ceux qu'il fallait consciencieusement arborer devant un supérieur - de son expérience militaire, Hadrian avait bien retenu que s'adresser à Delta Backwell comme il le pouvait avec Blaze, c'était aussi dangereux que de caresser un loup comme l'on caresse un chien.

Se contentant donc de resserrer son fusil contre lui, Hadrian fût très vite fin prêt afin de rejoindre l'hélicoptère. Pour tout admettre, il avait hâte. Chaque introduction dans ce milieu hostile, qu'était la forêt, était une véritable découverte, une bouffée d'air pur en dépits de sa dangerosité, une montée d'adrénaline, et le besoin croissant de garder à l'esprit que, à un moment ou à un autre, leur avoir à tous fourni des armes pouvait s'avérer n'être rien de moins que la plus brillante idée depuis l'invention de la poudre.
Sur les talons de Delta, Hadrian la suivit, se promettant de redoubler de vigilance. Non seulement ils devraient veiller les uns sur les autres, mais le capitaine Kozlov ne cessait de penser que, en outre, il avait à veiller sur la femme que son supérieur, et ami, Blaze, aimait très certainement.

4H00

Le bruit du réveil rompit la quiétude et le silence nocturnes. Max, lui, était déjà réveillé depuis belle lurette. Aujourd’hui n’était pas n’importe quelle jour. C’était sa première sortie hors de l’enceinte des murs de la Tortue. Aujourd’hui, il serait vraiment sur Pandora. Ayant été de permanence à son arrivée, Willsdorff n’avait pu profiter comme les autres des premières reconnaissances. Mais il se rattraperait, et aujourd’hui était la bonne occasion. Tel un gamin, il attendait cette mission depuis qu’il avait posé le pied sur cette planète. Et tel un gamin, l’excitation l’avait fait se coucher très tard, pour se lever bien avant le réveil. Max venait de s’extirper de ses draps, n’allumant pas les lumières, profitant de l’obscurité qui berçait la pièce.

Son premier geste fut de se diriger vers son petit « coin cuisine » qu’il s’était aménagé, ou il avait installé une cafetière et de la lancer. Le café se préparant, il irait prendre une douche. Son réveil était une mécanique bien huilée et qui avait fait ses preuves. Rasage, toilette, douche, et voici le sud-africain frais et dispo pour affronter Pandora. Willsdorff avait soigneusement préparé ses affaires la veille, qu’il avait disposé sur une chaise au pied de son lit. Il enfila méticuleusement son treillis, veillant aux plis réglementaires, avant de se diriger vers la petite cuisine. Il avait encore le temps avant de rejoindre les autres, et pouvait profiter d’un bon café. Machinalement, Max sortit une cigarette d’une de ses poches de treillis avant de la caler dans le creux de ses lèvres. La flamme du Zippo vint troubler l’obscurité. Aspirant goulument une première bouffée de tabac, Willsdorff surmonta le tout d’une bonne lampée de café.

Le sud-africain profita de ce petit moment de tranquillité, observant par la petite baie vitrée la planète bleue dont Pandora était la Lune. Max restait ainsi, buvant son café et fumant sa cigarette tranquillement. Il se rappelait que même si ce monde paraissait magnifique, il n’en était pas moins dangereux. Ici, même les pâquerettes essaient d’avoir votre peau. Son regard son reporta vers la forêt, obscure et menaçante, encore toute embrumée. Willsdorff termina sa tasse, la posa doucement avant de tirer une dernière bouffée de sa cigarette, l’écrasant méticuleusement dans l’un des nombreux cendriers qui peuplait la pièce. Max retourna vers son lit, finissant de s’équiper. Il passa sur lui son gilet d’assaut, vérifiant une dernière fois le contenu de chaque poche et si tout était bien fixé. Les chargeurs étaient à leur place, l’étui de son masque également, il était prêt. Willsdorff saisit le fusil d’assaut qui était posé au pied de son lit, et en vérifia machinalement le mécanisme, répétant l’action à vide plusieurs fois. Parfaitement huilée, l’arme était opérationnelle. Il engagea un chargeur avant d’armer son fusil, laissant la sécurité en place.

L’ancien militaire sortit de ses quartiers. Tout était calme et tout reposait tranquillement. Il n’y avait pas un bruit ni un chat dans les couloirs du personnel. Enfilant son chapeau de brousse, profitant d’une dernière cigarette avant de se retrouver à l’air « libre », Max marchait en direction de l’astroport. Il devait retrouver le petit groupe chargé de la reconnaissance, sous la houlette de Blackwell. Arrivant à destination, il salua chacun des membres présents, avant d’écouter le petit speech de Delta. Il acquiesça, avant de suivre la petite troupe vers l’hélico, fermant la marche.